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GRÈVE DU LAIT : LE BILAN UN AN APRÈS

© BERTI HANNA/REA

Ce formidable mouvement de colère n'a pas porté les fruits espérés. Un an après, la confusion s'est accrue chez les producteurs, ballottés entre des discours utopiques et les réalités économiques.

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C'était il y a près d'un an : la grève du lait, avec ses images offertes au monde entier de dizaines de tracteurs épandant un produit qui ne rémunérait plus les producteurs. Ce mouvement a créé un électrochoc dans l'opinion publique, les politiques se sont mobilisés, on a parlé de régulation. Où en sommes-nous un an après ? Les marchés se sont redressés, mais la grève n'y est strictement pour rien. Et les producteurs sont encore sous le feu de l'actualité pour défendre le prix du lait. Cette fois, ce n'est plus l'Apli, initiatrice de la grève, qui tient la vedette, mais le syndicat majoritaire qui a repris la main de la contestation. Dire que la grève du lait, et son sacrifice financier pour des milliers d'éleveurs, n'a servi à rien est injuste. Dire qu'elle a atteint ses objectifs est faux. Les images de l'épandage du lait ont été un formidable coup médiatique. Une démonstration des difficultés du monde agricole dans une économie de plus en plus ouverte. Cette dramatisation habilement mise en scène a porté l'opinion publique du côté des éleveurs. Cela semble être toujours le cas, mais pour quels bénéfices à court terme ? Si les déclarations politiques pendant et après la grève laissaient espérer des évolutions dans la gestion des marchés, un an après, les acteurs du mouvement restent sur leur faim. Rappelons-nous le slogan : « Une régulation publique des volumes et un prix du lait à 400 /1 000 l. »

En réponse, ils ont obtenu la nomination d'un groupe d'experts, le fameux GHN (groupe à haut niveau). Ses conclusions de juin dernier sont loin des espérances : « Modifier le droit de la concurrence pour donner des pouvoirs nouveaux aux organisations de producteurs et aux interprofessions. » Et cette simple recommandation divise, aujourd'hui encore, les commissaires de l'Union européenne (voir p. 20).

DU LAIT À 400 € LA TONNE

Qu'importe, ils sont toujours nombreux les éleveurs à espérer cette utopique limitation publique des volumes. Ce monde merveilleux qui oublierait les marchés à l'export pour se concentrer sur les riches consommateurs européens. En face, toute l'Europe du Nord (et sans doute quelques Bretons) se tord de rire devant « ces Gaulois qui ne comprennent rien à l'économie ». Ils fourbissent leurs armes et commencent à nous piquer des parts de marchés chez nous, ce qui explique les tensions actuelles dans la négociation du prix du lait, alors que la conjoncture internationale est bonne. Reconnaissons que depuis un an, ce mouvement de colère se berce de projets, certes sympathiques, mais dont on perçoit mal la réalisation. Du lait à 400 €/t ? Ce serait formidable, mais cela n'a jamais été le cas, même en 2008, année record avec 340 € (source Agreste). « 400 /t, c'est notre coût de production. » Mais comment est-il calculé et par qui ? Et pourquoi et comment les plus performants sont-ils à moins de 300 €/t ? L'Office européen du lait visant à regrouper la production est aussi une belle idée. Mais peut-on imaginer l'adhésion des Allemands, des Danois et des Néerlandais ? Une majorité d'entre eux adhère à des coopératives d'envergure internationale, d'autres sans aucune idée d'altruisme se fédèrent déjà en petits groupes performants, aptes à négocier avec les acheteurs. Dernière trouvaille : le lait équitable, mais à quelle échelle, dans quelle filière, pour quel marché ?

Il y a un an, la grève du lait a créé aussi un schisme syndical aux dépens de la puissante FNSEA. Le coup fut violent, inattendu. La réaction du syndicalisme majoritaire maladroite. Sa culture, légitimiste et cogestionnaire, est apparue éloignée de la souffrance des éleveurs, déstabilisés par une politique libérale qui pourtant leur pend au nez depuis 2003. Face à elle, la FNSEA découvre alors un mouvement quasi spontané : l'Apli, qui se nourrit du désespoir d'éleveurs fragilisés économiquement. Les syndicats minoritaires OPL et Confédération paysanne ont suivi plus ou moins la fronde, toujours ravis de voir la FNSEA déstabilisée. Quant aux laiteries, elles n'ont pas manqué d'y voir une belle entaille dans la légitimité de la FNPL, qui négocie au nom de l'ensemble des producteurs.

CICATRICES PROFONDES

Sur le terrain, les cicatrices sont encore profondes, avec parfois des voisins qui ne se parlent plus. Mépris des uns, radicalisme des autres. Refus du dialogue contre opposition systématique. Arguments économiques contre discours populistes. Cela tourne à la bagarre de chiffonniers, à coups de déclarations tapageuses et de communiqués. Beaucoup de producteurs y perdent leur latin. Qui croire, qui suivre ?

Et c'est souvent la lassitude qui l'emporte. Au niveau des responsables professionnels, ces tensions poussent à une extrême prudence dans les discours, quitte à occulter les réalités pour éviter les coups. De nombreux sujets restent tabous (restructuration des exploitations, mobilité des quotas…), à l'heure où la filière devrait en débattre pour préparer la fin des quotas. Cette division ne fait qu'affaiblir un pouvoir des producteurs dans la filière déjà sapée. Depuis l'abandon d'une intervention publique forte, ils avaient perdu de leur force de négociation. Divisés et sans quotas en 2015, ils pourraient être des nains à la merci de leurs acheteurs.

DOMINIQUE GRÉMY ET LA RÉDACTION

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