STÉPHANE LE FOLL : LE POINT TROIS MOIS APRÈS L'ANNONCE DE SON PLAN
Le 6 mars dernier, le ministre de l'Agriculture présentait son plan de relance exceptionnel pour l'élevage. Il est revenu avec nous sur certains des points évoqués, sans oublier l'actualité sur le prix du lait, l'organisation de la filière ou la régulation du marché.
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ORGANISATION DE LA FILIÈRE
La hausse de 25 €/1 000 l pour les producteurs dès les livraisons d'avril peine à s'appliquer. Et ce sont les transformateurs qui se font prier. Comment jugez-vous l'organisation de cette filière ?
Le manque d'organisation n'est pas l'apanage de la filière laitière. C'est parfois beaucoup plus compliqué ailleurs. Sur la question du prix du lait, la table ronde que nous avons initiée a débouché sur la nomination d'un médiateur qui devait répondre à une question précise : comment augmenter le prix du lait aux producteurs, qui souffrent de l'inflation des coûts alimentaires ?
Nous avons pesé énergiquement pour mettre autour de la table des acteurs aux intérêts très divergents dans le respect des règles de la concurrence. Il a fallu en premier lieu convaincre la distribution pour permettre cette hausse de 0,25 €. Mais le lien avec les producteurs passe nécessairement par les transformateurs. Certains se font entendre pour récupérer une partie de cette hausse. Ils peuvent avoir des raisons objectives car tous ne sont pas dans la même situation économique.
Mais si nous n'avions rien fait pour les producteurs, ils n'auraient de toute façon rien obtenu. Je suis persuadé que nous irons vers une application complète des modalités proposées par le médiateur. J'organiserai, s'il le faut, une nouvelle table ronde pour établir un premier bilan.
Avez-vous tranché sur les orientations évoquées pour amender le décret sur la contractualisation(1)?
Le rapport que nous avons commandité a abouti à des propositions d'amélioration des contrats. Elles visent notamment les jeunes agriculteurs, une meilleure mise en oeuvre des principes de contractualisation dans les coopératives ou l'application de la clause de sauvegarde. Ce sont des axes sur lesquels nous continuons de travailler en perspective de la loi d'avenir.
Pour les indicateurs de coûts, une première étape sera franchie avec la modification de la LME (loi de modernisation de l'économie). Les conditions d'évolution d'un certain nombre de coûts de production seront ainsi intégrées dans les renégociations commerciales entre les transformateurs et les distributeurs. Pour qu'il y ait un continuum jusqu'à la production, il s'agira ensuite de faire de même sur les contrats liant les producteurs et les transformateurs. L'objectif est de régler ce point dans la loi de consommation ou dans la loi d'avenir qui sera discutée au Parlement en fin d'année. Tel qu'il existe aujourd'hui le contrat sécurise la collecte avec quelques indicateurs de fixation du prix d'achat, c'est tout. Notre ambition est de structurer cela de manière plus précise.
Avez-vous tranché la question d'une reconnaissance ou pas d'une seule OP par bassin ?
Non. Certains prônent des organisations par laiterie, d'autres plus larges par bassin... voire une OP nationale mais impossible à mettre en place. La vraie question posée est celle de la capacité de ce type d'organisation, à pouvoir réellement négocier avec un mandat des producteurs. Car chaque producteur est d'abord un producteur indépendant lié par contrat à une laiterie.
Il y a dans le même temps une question de rapport de force pour peser dans les négociations qui se pose côté producteurs. Nous explorerons toutes ces pistes sur le plan juridique et politique avant de trancher.
Envisagez-vous d'obliger les coopératives à reconnaître une organisation de producteurs distincte en leur sein pour négocier des contrats ?
Les coopératives sont de par leur statut exonérées de faire signer des contrats. Mais il est anormal qu'elles s'exonèrent des obligations qui en découlent. Je souhaite concrètement renforcer le niveau d'informations pour que le coopérateur sache, comme le producteur privé, sur quelles bases, quel volume et dans quelles conditions il vend son lait. Cela ne signifie donc pas un contrat individuel signé par le coopérateur avec sa coopérative. Il s'agirait plutôt d'obliger toutes les coopératives à appliquer de bonnes pratiques en matière de niveau d'information de leurs adhérents... ce que certaines font déjà. Nous explorons sur le plan juridique cette possibilité pour la future loi d'avenir.
RÉFORME DE LA PAC
La convergence des aides, qui s'appliquera dès 2015, inquiète les éleveurs. Globalement, ce serait une perte nette de plus de 100 €/ha pour un tiers d'entre eux.
L'application du modèle de convergence des aides tel qu'il était proposé par la Commission européenne, s'il était utilisé seul et de façon stricte, aurait amené tout le monde vers le même montant moyen d'aide à l'hectare à l'échéance de 2020. Dans ce schéma, les producteurs qui ont aujourd'hui des DPU élevés auraient effectivement perdu beaucoup, notamment certains systèmes de production laitiers. Mais ce n'est pas ce qui va se passer. La France et d'autres pays ont accepté d'abandonner les références historiques pour aller vers un paiement de base commun, mais avec des modalités moins brutales pour les producteurs. C'est pourquoi nous avons fait, dès le départ, la proposition d'une majoration de l'aide sur les cinquante premiers hectares. Cela concerne particulièrement les exploitations de taille moyenne, comme les élevages laitiers. Le deuxième point qui servira à préserver l'élevage est de revenir sur le découplage des aides initié par l'Europe en 2003. Ce système qui ne permet pas d'orienter les aides, avait déjà été corrigé lors du bilan de santé de la Pac en 2008. Et je me bats actuellement pour augmenter le niveau de couplage des aides. Le Parlement a proposé 15 % de la part de l'enveloppe nationale avec un supplément de 3 % pour les protéagineux, le Conseil 12 %. On devrait se situer entre ces deux curseurs, mais le combat n'est pas terminé. Cela se jouera dans les prochaines semaines. À mon initiative, nous avons signé une plateforme avec quinze pays membres de l'Union européenne qui veulent que le taux de couplage passe au-delà de 12 % et se rapproche du souhait du Parlement, mais les réticences sont énormes. Les pays du nord de l'Europe, notamment l'Allemagne qui a découplé tous ses soutiens, estiment que le reste de l'Europe devrait faire de même. Cela correspond d'ailleurs à une conception de l'élevage particulière, déconnectée des productions végétales autoconsommées, un modèle industriel qui s'appuie sur l'approvisionnement extérieur.
Une fois le niveau de recouplage défini par l'Europe, quelles seront vos priorités en fonction de l'enveloppe dont vous disposerez ?
La bataille sur le couplage n'est pas terminée. Je ne peux donc pas vous dire encore ce que je ferai. Je rappelle aussi que grâce à la mobilisation du président de la République, le budget de la Pac a été maintenu, mais il n'a pas augmenté. Le débat politique à venir, une fois la réforme bouclée, se passera au niveau français pour décider d'une répartition. En tant que ministre de l'Agriculture, je ne peux pas me préoccuper que de la seule production laitière. Je ferai en sorte que les producteurs de lait ne subissent pas des baisses de soutiens inacceptables, mais il y aura des arbitrages à faire, notamment avec la production de viande bovine qui affiche les revenus agricoles les plus faibles depuis plusieurs années. Il faut avoir en tête qu'un taux de couplage à 12 % couvrirait tout juste la reconduction des aides couplées actuelles.
Une prime à la vache laitière est souvent évoquée par les représentants des producteurs, notamment de l'Ouest, pour compenser l'effet de la convergence des DPU qui sera plus sévère. Est-ce envisageable et dans quelle mesure ? L'élevage à l'herbe pourrait-il aussi bénéficier d'un soutien particulier ?
Je ne peux pas répondre à cette question car le débat n'est pas terminé. Je rappellerai seulement qu'il existe une règle européenne en matière de couplage des soutiens. Ils ne peuvent profiter qu'aux secteurs en difficulté et aux régions en déprise ou défavorisées. Quant au soutien à l'herbe, il bénéficiera de soutien plutôt dans le cadre du deuxième pilier, notamment en mettant en place de nouvelles MAE (mesures agroenvironnementales) systèmes. Derrière tout cela, il y a pour moi l'enjeu important de l'agroécologie et de l'autonomie fourragère. Organiser cette autonomie, notamment sur les protéines végétales, de façon à rendre les élevages moins dépendants des variations de prix des intrants sera un axe fort sur lequel nous allons discuter. Il faut s'inscrire dans une logique de marge nette, et non plus de consommations intermédiaires, sans remettre en cause les objectifs de production. Ces systèmes existent déjà et ils fonctionnent. Mais nous donnerons l'impulsion politique nécessaire à leur développement. D'où l'importance d'obtenir de l'Europe un taux de couplage significatif pour les cultures de protéagineux, dont les fourragères. Le Parlement propose 3 %. Je ne sais pas à quel niveau nous serons à la fin de la négociation.
Vous avez annoncé un renforcement de l'ICHN et une fusion avec le soutien à l'herbe. Pouvez-vous préciser ces intentions ?
C'est un cap que je fixe. Je crois qu'il est clair. C'est ce que j'ai indiqué lors du Conseil national de la montagne, le 29 avril dernier. L'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) est une aide fondamentale pour les zones défavorisées. Elle sera renforcée. Elle sera mise en oeuvre de façon identique sur l'ensemble du territoire grâce à un cadrage national qui s'appliquera à chacun des programmes régionaux dont l'autorité de gestion sera confiée aux régions.
Je suis aussi convaincu de l'importance du maintien d'un soutien à l'herbe, mais sa forme devra être revue. Là où c'est pertinent, notamment en zone de montagne, ce soutien pourra être fusionné avec l'ICHN. Dans les autres zones, il pourrait s'appuyer sur de nouvelles mesures agro-environnementales systèmes. C'est ça le cap que je fixe. Il faut maintenant travailler sur la faisabilité et les modalités de mise en oeuvre. Ce travail est devant nous. Et, bien sûr, il nous faudra tenir compte des contraintes budgétaires.
RÉGULATION DU MARCHÉ
Le dispositif Dantin de régulation de la production en cas de crise grave a-t-il des chances de survivre au trilogue ?
La France soutiendra cette proposition, mais il n'est pas sûr que nous ayons une majorité pour la valider. Ce dispositif qui vise à éviter l'emballement de la production, n'est malheureusement opérant que lorsqu'une crise grave est avérée. La vraie question est de savoir comment l'éviter.
Je me suis battu pour qu'on réfléchisse à ne pas faire tout et n'importe quoi dans l'après-quota. Ce sera l'objet du point de rendez-vous au mois de septembre au niveau communautaire pour lequel nous avons oeuvré. J'entends les prévisions d'augmentation importante de la production dans certains pays, mais qu'arrivera-t-il si la demande mondiale, promise à se développer, n'est pas à la hauteur des espoirs ou encore faiblit. Nous nous exposerions alors à une catastrophe sur le marché européen.
Vous n'abandonnez donc pas l'idée d'une certaine forme de régulation en amont ?
Je souhaite donc que l'on retrouve, pour le lait, des mécanismes de coopération, et pas uniquement de concurrence. Ne réitérons pas l'erreur faite dans le secteur viticole de suppression pure et simple des droits de plantation au nom de la conquête des marchés mondiaux... une décision sur laquelle on s'est battu pour revenir dessus cinq ans après. Ce n'est pas une bataille perdue d'avance face à l'Europe du Nord et l'industrie laitière. Car on peut s'appuyer aussi sur des pays qui s'inquiètent de la fin des quotas, certes peu nombreux, mais qui pèsent dans le débat.
Pouvez-vous nous préciser en quoi consisterait cette « coopération » ?
L'une des pistes de réflexion, et qui demandera beaucoup d'énergie pour trouver une majorité européenne, pourrait consister en une obligation de régulation politique.
Puisque la page des quotas est tournée, cela pourrait par exemple consister à donner aux pays des objectifs de croissance de leur production.
Partant de là, on pourrait imaginer un dispositif d'alerte géré par la Commission, qui pourrait donner lieu au niveau du Conseil des ministres, à discussion et adaptation des objectifs donnés.
Encore faut-il avoir le moyen de contraindre les pays qui ne suivent pas...?
La priorité n'est pas encore là. Il s'agit déjà de rallier une majorité de pays sur le principe d'une certaine régulation pour un marché aussi important que celui du lait
PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE GRÉMY ET JEAN-MICHEL VOCORET
(1) Contrat de sept ans pour les JA, introduction d'indicateurs de coûts de production, clause de sauvegarde...
« Il est anormal que des coopératives s'affranchissent des obligations qui découlent des contrats » © CÉDRIC FAIMALI/GFA
© CÉDRIC FAIMALI/GFA
« Je souhaite qu'on retrouve des mécanismes de coopération européenne et pas seulement de concurrence » © CÉDRIC FAIMALI/GFA
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