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ENTREMONT-ALLIANCE : QUI FERA SON BEURRE AVEC L'EMMENTAL ?

Avec ou sans Sodiaal, l'avenir d'Entremont-Alliance dépendra de la compétitivité de la France sur les marchés de l'emmental et des produits industriels, face à une concurrence renforcée.

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LA BULLE A EXPLOSÉ EN JUILLET 2008, quand Entremont-Alliance a annoncé son intention de limiter la hausse du prix du lait à 30 €/1 000 l, alors que les éleveurs attendaient 49 €/1 000 l. Souvenez-vous : la DGCCRF venait d'interdire à l'interprofession de publier une recommandation nationale pour le prix du lait. Entremont s'est engouffré dans la brèche avec des arguments économiques. Tout d'abord, les fortes fluctuations survenues sur les cotations des produits industriels n'étaient intégrées qu'avec retard dans le prix du lait français, contrairement à ce qui se passait en Europe du Nord. Or, la matière première pèse 80 % du coût de revient de l'emmental. L'entreprise a vu les dangers auxquels l'exposait un important différentiel du prix du lait par rapport à ses concurrents. Elle a alerté la filière. Le prix français est devenu plus réactif, mais le décalage avec les voisins est resté.

DES MARCHÉS PERDUS

Par ailleurs, Entremont écoule 40 % de son lait sur les marchés européens et internationaux sous forme de beurre, poudre ou fromages ingrédients. Des produits qui ont connu une conjoncture catastrophique en 2008 et au premier semestre 2009. Le reste est vendu en grande distribution, essentiellement en emmental. Ce fromage s'est banalisé pour devenir un ingrédient sous forme de râpé. Seulement 20 % de l'emmental est vendu sous une marque. Les ventes de comté ou de lait infantile (Nutribio) n'ont pas pu compenser la mauvaise valorisation des produits phares.

L'ouverture des marchés a fait le reste. Sur les onze premiers mois de 2009, les importations d'emmental ont augmenté de 22,6 % en volume. Les Néerlandais ont fait exploser leurs ventes (143 %), la coopérative Friesland Campina trouvant là un débouché pour ses adhérents qui ont bien l'intention de produire chaque litre supplémentaire de quota. Plus globalement en 2009, les importations françaises de produits laitiers ont augmenté de 40 000 t quand les exportations perdaient 20 000 t. Les pertes d'Entremont sont évaluées à 40 millions d'euros par an depuis deux ans. Mais c'est toute la filière qui est handicapée par son manque de compétitivité. Le poids d'Entremont dans la transformation française explique pourquoi les discussions autour du devenir de l'entreprise intéressent tout le monde (voir infographie). L'opportunité de revoir les équilibres au sein du paysage laitier français constitue un autre enjeu majeur. La transformation est actuellement aux mains des privés pour 60 %. Si Entremont basculait dans le camp coopératif, on retrouverait une parité. Il y a donc là un choix de modèle économique. L'État lui-même s'est impliqué. Bruno Le Maire a promis plusieurs fois un dénouement rapide, que l'on attend toujours. Ceci s'explique d'abord par le fait qu'Unicopa, actionnaire à 36,5 % d'Entremont- Alliance, a rencontré de telles difficultés qu'il est placé sous la tutelle du Ciri (Comité interprofessionnel de restructuration industrielle). Cependant, Unicopa, minoritaire, n'a aucun pouvoir de décision. L'État n'a donc pas directement son mot à dire. Mais Albert Frère, actionnaire majoritaire d'Entremont, est un financier majeur dans l'économie française. D'où un autre motif d'intérêt de l'État pour ce dossier. Enfin, l'enjeu économique et social le pousse aussi à rechercher une solution. Difficile de laisser plus de 5 000 éleveurs sans débouchés pour leur lait. Malgré toute cette agitation, les enjeux financiers sont tels que le dossier traîne. La dette d'Entremont- Alliance est évaluée à 376 millions d'euros. Et il ne faut jamais oublier qu'il revient à Albert Frère de décider s'il vend ou pas, et d'en définir les conditions et le moment. Au 25 février, on ignore encore si le projet de reprise par Sodiaal va aboutir. Le groupe coopératif a annoncé sa volonté d'agir seul, alors qu'un premier projet prévoyait le maintien d'Albert Frère dans le capital.

Pour Sodiaal, cette reprise présente deux intérêts : d'abord, acquérir une taille européenne. Ensuite, s'implanter en Bretagne, une région dont on ne conteste pas l'avenir laitier. Son projet suppose l'entrée au capital des livreurs d'Entremont. Et Sodiaal veut les faire participer au redressement de l'entreprise via un prélèvement de 3,60 €/1 000 l durant sept ans. Même si cette somme est capitalisée, les éleveurs ne veulent pas en entendre parler. Le projet Sodiaal soulève de nombreuses interrogations. Ce groupe coopératif n'est bénéficiaire que depuis deux ans, et il n'est pas certain qu'il ait les reins assez solides pour racheter Entremont seul. Ses adhérents refusent de financer la reprise. La dernière proposition de rachat aurait été refusée par l'actionnaire pour cause de prix insuffisant (Les Échos du 16 février). Ensuite, Sodiaal conditionne son offre à un apurement au moins partiel de la dette. Sachant que vingt cinq banques européennes sont impliquées, on ne voit pas bien ce qui les pousserait dans ce sens. À moins que l'État ne parvienne à trouver un angle d'attaque. Enfin, et surtout, la mauvaise conjoncture qui a fait basculer Entremont est toujours là. La question clé, pour les livreurs ou salariés d'Entremont comme pour l'ensemble de la filière, est la suivante : comment retrouver de la rentabilité avec de l'emmental et des produits industriels ? Sodiaal n'a pas encore avancé l'ombre d'une solution. Et on peut douter de sa capacité à faire de l'argent avec ces produits quand des spécialistes n'y parviennent plus. Sodiaal n'a ni l'expérience de la reprise d'une telle entreprise ni celle de la gestion de ces marchés. Certes, la coopérative a réussi le redressement de Candia et possède une activité fromagère importante au sein de la compagnie fromagère Riches Monts. Mais c'est son partenaire, Bongrain, qui tient les rênes.

LA PISTE LACTALIS

Quelques économies sont sans doute possibles. Mais Entremont a déjà rationalisé ses outils. Fermer une usine pour tenir compte de la perte de parts de marchés poserait la question du devenir du lait. Il n'est pas impossible qu'en cas de succès, Sodiaal réorganise Entremont-Alliance avec des partenaires. Quitte à rogner un peu sur son objectif de taille européenne. Si le vent tournait en faveur de Lactalis, ce leader collecterait environ 28 % du lait français, ce qui fait peur à certains. À comparer à la domination de Arla Foods (95 % du lait danois, 66 % du lait suédois), de Friesland Campina (85 % du lait néerlandais) ou de Nordmilch (60 % du lait d'Allemagne du Nord). Lactalis resterait à la sixième place du classement mondial des entreprises sur le volume de collecte. Autant dire que la France reste une fois de plus une originale, conservant une multitude d'entreprises quand ses concurrents se concentrent.

PASCALE LE CANN

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