ÉTATS-UNIS LES ÉLEVEURS À L'ABRI D'UN KRACH DES MARGES
Mis en place en janvier 2014, le programme de protection des marges laitières américain a séduit une majorité d'éleveurs. Il les rend plus résistants en cas de crise grave.
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LE GOUVERNEMENT AMÉRICAIN DÉFINIT SA LOI AGRICOLE (Farm Bill) pour des périodes de cinq ans. Les négociations ont été âpres en 2013 dans le domaine laitier. Finalement, une nouvelle politique a été instaurée en 2014. Elle repose sur deux piliers : le programme de protection des marges et l'aide alimentaire.
Les nouveautés résident dans l'élaboration d'un système dit de protection des marges (DMPP : Dairy Margin Protection Program), au lieu d'un soutien des prix à la production. Jusque-là, le gouvernement fixait un prix de référence pour le lait. Si le prix payé descendait en deçà de ce niveau, les éleveurs percevaient des paiements directs. Et l'aide alimentaire ne s'adresse plus qu'aux États-Unis alors qu'auparavant, les dons alimentaires pouvaient se faire à l'étranger.
PROTECTION DES MARGES : COMMENT ÇA MARCHE ?
Le ministère de l'Agriculture calcule chaque mois la marge moyenne sur coût alimentaire des éleveurs laitiers américains. Pour ce faire, il effectue des enquêtes auprès des laiteries dans tout le pays pour connaître les prix payés à la production, primes incluses. D'autres enquêtes visent à évaluer les prix des différents intrants alimentaires dont les éleveurs ont besoin (soja, maïs et foin de luzerne). Là aussi, les informations proviennent de différents États. La différence entre les deux donne la marge sur coût alimentaire perçue par les éleveurs.
Ce calcul est réalisé tous les mois. L'année est divisée en six périodes de deux mois (janvier- février, mars-avril...) sur lesquelles la marge est calculée à partir des informations collectées sur les deux mois. C'est ce chiffre qui sert de référence pour actionner ou non l'indemnisation des éleveurs.
Ceux qui veulent bénéficier de cette protection doivent en faire la demande chaque année entre juillet et septembre. Dès lors qu'ils ont souscrit une fois, ils doivent continuer les années suivantes. La souscription ne concerne pas la totalité des volumes. Le maximum est la livraison la plus élevée des années 2011, 2012 ou 2013. Cette référence est liée à la ferme et n'est donc pas revue en cas d'installation d'un jeune, par exemple. En revanche, elle évoluera chaque année en fonction de la hausse moyenne nationale de la production par vache.
Sur cette base, l'éleveur qui souscrit doit choisir le pourcentage de volume qu'il souhaite couvrir pour l'année (de 25 à 90 % par tranche de 5 %). Il doit également opter pour un niveau de marge couvert, entre 4 et 8 $/100 livres, avec des tranches de 0,50 $/100 livres. S'il choisit le seuil minimum, cela ne lui coûte rien, hormis un forfait de 100 $ par exploitation. Le prix augmente avec le niveau de couverture. La hausse est modérée jusqu'à 6,50 $, et plus rapide au-delà. De plus, il existe deux niveaux de prix en fonction du volume de lait couvert. Le coût est plus faible pour un volume livré en dessous de 4 millions de livres.
QUEL COÛT POUR L'ÉTAT ?
Le gouvernement américain n'a pas précisément évalué le budget nécessaire à ce programme. Il sera inévitablement variable d'une année sur l'autre. « L'État encaisse les primes versées par les éleveurs. Et il effectuera les paiements si nécessaire et sans limite », affirme Mark Stephenson, économiste à l'université de Madison (Wisconsin).
QUEL EST LE NIVEAU DE PROTECTION DE CE PROGRAMME ?
Il faut savoir que le seuil de 4 $ est très bas. Dans les années récentes, la marge sur coût alimentaire s'établissait en moyenne à 8,50 $/100 livres, avec des variations entre 2,50 (mai -juin 2009) et 15,50 $ (septembre-octobre 2014). Cela donne une idée de la volatilité à laquelle sont soumis les éleveurs américains.
Les simulations montrent qu'un tel système n'aurait donné lieu à aucun paiement en 2008, 2010 et 2011. En revanche, en 2009, même avec une couverture à 4 $/100 livres, les exploitations auraient perçu des paiements durant les dix premiers mois de l'année.
En 2012, année très difficile en raison de la sécheresse, la situation aurait été comparable, mais dans une moindre ampleur.
AIDE ALIMENTAIRE : COMMENT ÇA MARCHE ?
Le nouveau Farm Bill prévoit l'achat de produits laitiers par l'État dans le cas où la marge sur coût alimentaire tomberait en dessous de 4 $/100 livres durant deux mois consécutifs. Ces produits seront achetés au plus tard 120 jours après ce constat et au prix du marché. Ils seront distribués aux banques alimentaires qui aident les plus démunis. Il n'y aura donc plus de stockage public avec remise sur le marché, comme ce pouvait être le cas auparavant. Les volumes achetés seront déterminés en fonction des besoins des banques alimentaires. Le programme est automatiquement suspendu au bout de trois mois, ou encore si la marge repasse la barre des 4 $/100 livres. C'est également le cas si la marge se situe entre 3 et 4 $, mais que le prix du lait américain dépasse le prix mondial de plus de 5 %. Ou encore si la marge descend en dessous de 3 % avec un prix américain supérieur au prix mondial d'au moins 7 %. Il s'agit de ne pas pénaliser l'export. Selon Mark Stephenson, il est peu probable que ce programme soit activé. L'histoire montre que la marge descend rarement en dessous de 4 $ (voir graphique).
ASSURANCE MARGE BRUTE (LGM)
Ce programme LGM (Livestock Gross Margin Insurance), qui existait déjà dans le Farm Bill précédent, a été maintenu. Il s'agit d'un système de soutien des marges qui évolue selon les marchés. Les éleveurs peuvent y adhérer sur de courtes périodes. Ils paient des primes comme pour une assurance. Mais quand les marges sont faibles, le taux de couverture possible est également de bas niveau. De plus, le système fonctionne avec un budget limité (20 M$/an). Une fois l'enveloppe consommée, il n'est plus possible d'adhérer. Les éleveurs qui souhaitent utiliser ce système n'ont pas accès au DMPP. À chacun donc d'effectuer ses propres simulations pour voir où se trouve son intérêt.
QUI A SOUSCRIT POUR 2015 ?
51 % des éleveurs laitiers américains ont adhéré au programme dès la première année pour se couvrir en 2015. Ils représentent environ les deux tiers de la production laitière américaine. Ce sont donc clairement les plus grandes exploitations qui ont cherché à se protéger. La proportion d'éleveurs intéressés est très variable selon les États (5 à 90 %). Ainsi, en Californie, premier État laitier, 69 % des éleveurs ont souscrit. Le Wisconsin, second État, est dans la moyenne à 54 %.
Quant au niveau de couverture choisi, il varie aussi. Les niveaux qui ont le plus séduit sont la couverture minimale à 4 $ (près de 45 % des éleveurs) et le seuil intermédiaire à 6 $ (40 % ont choisi 6 ou 6,5 %). Les grands troupeaux (au-delà de 4 millions de livres) ont choisi des taux plus faibles, sans doute en raison du coût élevé. C'est dans les États du Sud et de l'Ouest que la proportion de volume couverte est la plus élevée (87,8 % en Californie, soit la quasi-totalité des volumes éligibles). De nombreux États du Nord-Est se situent entre 80 et 85 %. Il est encore trop tôt pour faire le bilan de l'adhésion pour 2016.
QUELS PAIEMENTS EN 2015 ?
Au total, les éleveurs ont payé 60 M$ pour se couvrir en 2015. Le versement s'est élevé à 800 000 $, à fin octobre. Cela représente en moyenne 27 centimes pour chaque dollar investi dans le programme. La rentabilité s'avère donc très faible pour cette année.
Les marges ont oscillé entre 7,50 et 9,08 $/100 livres pendant les cinq premières périodes de deux mois, contre 12,50 à 15,50 $ en 2014. Le prix du lait est resté bas tout au long de l'année (entre 16,50 et 17,50 $/100 livres), mais les coûts d'achat des intrants alimentaires sont en baisse régulière. Des primes ont été versées seulement pour ceux qui avaient souscrit pour une marge à 7,50 $ pendant les quatre premières périodes.
Les estimations tablaient sur une marge à 9,13 en novembre-décembre. Ces marges sont attendues entre 8 et 10 $ pour 2016, avec une progression régulière au fil des mois du fait d'une réduction probable du prix des aliments.
QU'EN PENSENT LES ÉLEVEURS ?
Le programme est très nouveau et de l'avis des éleveurs, un temps d'adaptation s'impose. Les universités ont conçu et mis en ligne un logiciel de simulation pour les aider à prendre leurs décisions. Elles conseillent aux éleveurs de repenser la gestion en fonction de leur capacité de résistance. Il s'agit tout d'abord d'évaluer la somme que l'on risque de perdre en cas de conjoncture très défavorable pendant un an. Reste ensuite à vérifier si l'entreprise dispose de suffisamment de capital pour supporter ces pertes. Dans le cas contraire, il faut savoir si la banque peut les financer ou pas. Ces éléments sont pris en compte pour évaluer l'intérêt à adhérer au programme et le niveau de couverture souhaitable. D'une manière générale, les éleveurs considèrent que la volatilité des prix fait partie du métier. Ils y sont habitués depuis très longtemps. Beaucoup achètent ou vendent sur les marchés à terme pour atténuer les variations. Cependant, ils savent qu'une chute durable des prix peut les affecter durement. Ils sont donc majoritairement intéressés par un système de protection qui les aide à tenir le coup en cas de catastrophe.
PASCALE LE CANN.
La crise de 2009 a été terrible pour les gros élevages californiens, mal protégés par un système d'aides directes plafonné à 2,4 millions de livres. Le nouveau système leur est plus favorable, car la protection des marges peut concerner 90 % des volumes produits.
Dans le Middle West, les éleveurs produisent une grande partie de leur alimentation et se sentent moins vulnérables face à la volatilité des prix.
Le nombre des exploitations dépassant 2 000 vaches est en croissance. 3 % des élevages produisent 53 % du lait américain.
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