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IL FAUT UN CHANGEMENT RADICAL DE LA POLITIQUE LAITIÈRE DE L'UE

André Pflimlin Fils d'éleveur laitier en Alsace, ancien ingénieur à l'Institut de l'élevage, expert lait auprès du Comité des régions à Bruxelles. Auteur de « Europe laitière : valoriser les territoires pour construire l'avenir ». Edition France Agricole 2010.© CÉDRIC FAIMALI

Le refus obstiné d'une régulation de l'offre laitière en cas de crise est la preuve du fonctionnement peu démocratique de l'Europe qui s'enferme dans le mirage d'un marché mondial porteur et autorégulateur.

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Comment analysez-vous l'inertie de Bruxelles face à la crise laitière ?

André Pflimlin : Le secteur laitier est un bon exemple du mode de gouvernance de l'Europe. En 2003, le projet de la Commission européenne de libéraliser le marché laitier a été adopté par les politiques, Conseil des ministres et Parlement, et depuis, rien ne doit changer. Il faut laisser faire le marché, même si on va droit dans le mur. Car depuis 2008, le contexte mondial a été chamboulé par les crises qui touchent maintenant la Chine, les pays émergents et même les pays pétroliers. La fin des quotas chez nous a entraîné un gros surplus de production, juste au moment où la demande s'essouffle, avec l'embargo russe en prime. Nous produisons trop de lait, mais la Commission refuse toujours toute forme de régulation de l'offre. Et les vingt-huit ministres de l'Agriculture laissent faire, faute de concertation préalable et de vision commune. Face à une crise majeure de tout l'élevage européen, ils se contentent d'une aide de 500 millions, c'est dérisoire. Seul le Parlement européen, en révisant un peu le traité de Lisbonne, pourrait initier de vraies réformes. En attendant, c'est bien la Commission qui a la main et applique sa stratégie libérale au nom d'un marché mondial en expansion : « Plus de commerce pour plus de richesse ». Mais pas pour tout le monde. L'industrie laitière et agroalimentaire ainsi que la distribution sont particulièrement mobilisées pour les négociations de libre-échange avec un énorme lobbying auprès de la Commission. Car ce ne sont pas elles, mais les éleveurs laitiers qui subissent l'extrême volatilité des prix et des marges. De plus, la voix des producteurs à Bruxelles, représentés par le Copa-Cogeca, est devenue inaudible puisque confondue avec celle des transformateurs coopératifs. Pendant ce temps, les campagnes se vident.

La France semble bien seule en Europe à demander une régulation ?

A.P. : Ça, c'est le discours de la Commission ! Mais il est vrai que la France se défend mal. Notre ministre de l'Agriculture ne se bouge pas assez pour mobiliser ses collègues européens. Il y a de moins en moins de fonctionnaires français à Bruxelles par rapport aux Anglo-Saxons très libéraux. Les responsables professionnels français ont du mal à sortir de l'Hexagone pour construire des stratégies communes avec leurs homologues européens. De plus, la filière laitière française est plus diverse et plus divisée qu'ailleurs. On préfère taper sur son voisin, sa laiterie, la GMS, plutôt que monter à l'échelon supérieur, là où pourtant tout se décide, pour porter une ambition collective. Or, il y a des éleveurs européens qui veulent de la régulation, comme l'a montré la mobilisation du 7 septembre à Bruxelles. Et une majorité de régions de l'UE est pour la régulation, comme le montrent les votes au Comité des régions.

Mais réguler peut paraître insupportable quand on a beaucoup investi ?

A.P. : Si tout le monde en Europe baissait la production de 2 ou 3 %, le signal au marché serait fort, sans pénaliser pour autant les nouveaux investisseurs. Car ces 2-3 % de lait en trop entraînent des baisses de prix trois à cinq fois supérieures. Mais j'insiste sur le fait que le marché mondial des poudres de lait, pour lequel la filière laitière française investit beaucoup, est un leurre pour nos éleveurs. Il y a en face des compétiteurs plus performants pour les marchés asiatiques, tout d'abord la Nouvelle-Zélande. Et d'autres qui n'ont pas de contraintes sociales ou environnementales, notamment dans l'ouest des États-Unis. Plus nous ferons de poudre, plus notre prix du lait sera lié à celui du marché mondial, avec une volatilité insoutenable pour nos producteurs. Certes, en 2030 ou 2050, la consommation mondiale de produits laitiers aura progressé. Mais que fait-on d'ici là pour maintenir le tissu d'éleveurs sur nos territoires ? Et ne sous-estimons pas la volonté des pays émergents à préserver leur souveraineté alimentaire.

PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE GRÉMY

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