PAROLES D'ÉLEVEURS Entre colère et résignation
Les éleveurs interrogés cet été disent leur passion du métier intacte, mais aussi leur découragement et surtout leur ras-le-bol d'une crise qui s'éternise.
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Il aura fallu un prix de base à 255 €/1 000 litres, payé par Lactalis le 20 août, pour que les producteurs du réseau FNSEA et JA sortent de leurs exploitations. Depuis un an, les éleveurs assistent à la baisse du prix du lait sans protester. « Ils sont résignés », disaient de leurs collègues, début août, les cinquante syndicalistes devant le site Lactalis de Domfront (Orne). « L'été a été calme, un calme inquiétant », confirme Sylviane Pralus, présidente de la MSA de la Manche et du Calvados. Si 2,3 % des agriculteurs, en majorité des éleveurs, sont en procédure judiciaire, 20 % sont considérés fragiles : « Ils ont au moins un appel à cotisations sociales non réglé », indique-t-elle.
Les éleveurs rencontrés aux manifestations de l'été 2015 et recontactés, ceux interviewés à Laval, devant le siège de Lactalis, ou dans leur ferme, disent leur révolte et leur découragement.
Un an après le blocage de Caen et Lyon
Camille Lepainteur et Mathieu Vassel, jeunes éleveurs dans le Calvados et la Loire, ont participé au blocage de Caen et Lyon en juillet 2015. Le premier est en Gaec avec son père (870 000 litres). « Je suis toujours en colère. On a tiré la sonnette d'alarme il y a un an mais tout le monde a fait le sourd. Je ne vois pas le bout de la crise. Le producteur français fournit un produit de qualité toute l'année mais n'est pas récompensé de son travail. »
Le second s'est installé l'an passé avec son père (546 000 litres). « L'investissement prévu de 500 000€pour une stabulation laitière est en stand-by. Avec 70 000 € de prêts JA, je ne suis pas étranglé. Je peux arrêter si je veux. Je suis toujours motivé par mon métier, mais je ne suis pas prêt à passer toute ma carrière à défendre le prix du lait. »
À Laval, devant le siège de Lactalis
À Laval il y a quinze jours, les manifestants confiaient, eux aussi, leur passion d'éleveur.
Pierre H., livreur de Lactalis, 40 ans : « J'ai un beau métier, varié, qui permet de profiter de la vie familiale mais après un an et demi de prix bas, ma femme et moi en avons ras-le-bol. Avec 500 000 litres, nous devrions vivre correctement. Avons-nous choisi la bonne façon de produire du lait, je m'interroge aujourd'hui. »
Jean-Pierre B., adhérent d'Agrial dans la Manche (900 000 litres), 50 ans : « J'ai la gorge serrée quand je vais à la traite. À 266 € de prix de base au 3e trimestre, je travaille pour rien. Heureusement que les panneaux solaires assurent la rémunération familiale. Je suis un chef d'entreprise mais depuis un an, je ne lance aucun projet. »
Les deux éleveurs racontent comment ils jonglent avec les ouvertures de crédits, les avances sur la récolte de céréales et les fournisseurs qu'ils font attendre. Un quotidien que connaît bien
Thérèse P., livreuse de Lactalis dans le Calvados (1,2 Ml), 60 ans. En Gaec avec son mari et leurs fils, elle s'occupe de la comptabilité. « Vu l'importance de notre structure, il est difficile de parler de nos problèmes à notre entourage, confiait-elle cet été. Nous n'avons plus de trésorerie alors qu'il faut nourrir nos animaux, rembourser les annuités et assurer nos prélèvements privés car nous avons chacun des prêts privés. Mon mari et moi déménageons de la ferme, mais nous ne pouvons pas financer l'aménagement de notre maison. Il est anormal d'en arriver là.
CLAIRE HUE
Mathieu Vassel
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