LA NON-RÉGULATION MENACE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
L'hypervolatilité des prix agricoles fragilise les agriculteurs du Nord et menace ceux du Sud. Le Momagri appelle à refonder les bases des négociations internationales.
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Quel est votre regard sur la crise du lait ?
Jacques Carles : À travers l'interprofession, le secteur laitier avait mis au point une formule qui lissait les prix dans la durée tout en maintenant la concurrence, notamment sur la qualité. Toute la filière s'y retrouvait. Avec l'injonction de la DGCCRF, les producteurs ont pris de plein fouet la volatilité des prix. Demain, les cours vont remonter et la transformation en pâtira. On est là dans le très court terme d'une politique sans vision stratégique. Alors que seulement 5 % de la production sont échangés, on casse un équilibre. On ouvre ainsi la porte à des monopoles d'exportation anticoncurrentiels comme Fonterra, en Nouvelle-Zélande. On en a vu précédemment l'effet sur la filière ovine ! Est-il concevable de sacrifier tout un secteur alors que le consommateur est de plus en plus orienté vers les produits animaux ?
Qui seront les perdants et les gagnants d'un libéralisme non régulé ?
J.-C. : En Europe, l'élevage sera affecté par une augmentation de la production, notamment du Brésil qui n'a pas les mêmes contraintes sanitaires ou sociales. Si on ouvre totalement les frontières, les chiffres d'affaires des agriculteurs seront encore plus irréguliers et en forte baisse dans les pays émergents importateurs (Chine ou Inde), de 30 à 40 %, et pire encore pour les pays les moins avancés, comme l'Afrique subsaharienne, à - 60 %. Seuls les pays émergents exportateurs d'Amérique du Sud en sortiraient gagnants, à + 20 %. Dans les pays développés, la tendance serait à 20 % sur les dix ans à venir.
Crise alimentaire, affaiblissement de la sécurité alimentaire et explosion de la pauvreté sont les paradoxes d'un Doha Round baptisé « cycle du développement ». Comment en est-on arrivé là ?
J.-C. : Les modèles standards utilisés à l'OMC ne tiennent pas compte de la spéculation sur les marchés à terme et sont construits sur un consommateur « représentatif » déconnecté de la diversité et de la réalité du terrain. Ils sont fondés sur des postulats faux et dangereux : l'offre s'ajuste automatiquement à la demande, le plein-emploi est assuré, la demande est élastique par rapport aux prix. On ne mange pas dix fois plus quand un produit est bon marché et pour autant on atteint le seuil fatidique du milliard de sous-alimentés ! Nous avons jeté les bases d'un nouveau modèle intégrant toute la complexité de l'agriculture. Ses principes de construction et ses résultats ont été validés par des économistes internationaux. Fin 2009, il sera à la disposition des organismes internationaux. En 2010, Momagri va développer un indicateur OSE (optimum sécurité alimentaire/efficacité économique). Ce sont de nouveaux outils. Nous partons de très loin.
Y a-t-il une exception « agri culturelle » qui justifierait de sortir l'agriculture de l'OMC ?
J.-C. : Pas vraiment, mais il faut geler le cycle de Doha. Au lieu de lisser les prix, le démantèlement des barrières douanières accroît leur volatilité sous l'effet de la spéculation, au seul profit des fonds d'investissement qui ne s'embarrassent pas de sécurité alimentaire. Avant toute nouvelle négociation sur la fluidité des marchés, il faut redéfinir les missions de la Banque mondiale, du FMI, de la FAO et créer une organisation mondiale de l'agriculture. La Banque mondiale n'accorde que 3 % de ses prêts à l'agriculture, c'est dire ! Les paysans du sud doivent être plus protégés. Car les conséquences d'une agriculture concentrée et financiarisée seraient aussi dramatiques en matière de suppression d'emplois : 42 % de la population vit de l'agriculture et jusqu'à 70 % dans les pays les plus pauvres. L'émigration rurale risque de se prolonger par une émigration internationale. Déjà, on voit augmenter le phénomène des enfants errants venant pour la plupart de la campagne.
PROPOS RECUEILLIS PAR MIREILLE PINAULT
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