Complémentation La réponse aux concentrés dépend de la disponibilité à l’auge
Les premiers résultats d’essai du projet Harpagon montrent que les vaches, après le pic de lactation, sont capables de maintenir leur production face à une baisse de concentré, grâce à l’ingestion et à la mobilisation de leurs réserves.
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Dans une logique d’optimisation technico-économique, le projet Harpagon « Alimentation de précision » a été lancé il y a deux ans par l’Institut de l’élevage (Idele). Partant du principe que toutes les vaches ne répondent pas de la même manière à un apport de concentré de production, l’objectif de ce programme de recherche est de concevoir in fine un outil permettant d’identifier des profils types en vue de piloter plus finement les apports au Dac ou le robot de traite, qui équipent aujourd’hui de 30 à 40 % des élevages.
« Ce programme part du constat que le principe d’une complémentation individuelle calée uniquement selon le niveau de production et le stade de lactation est incomplet, car il ne prend pas en compte d’autres leviers que la vache peut activer tels que l’ingestion à l’auge ou la mobilisation des réserves corporelles, explique Amélie Fischer, coordinatrice de projet. Il s’agit d’identifier des profils de réponses à une variation des apports de concentrés, de façon à pouvoir ajuster la quantité à la vache, plutôt qu’à un animal “moyen”, comme c’est le cas actuellement. Cela ne remet pas en cause, par ailleurs, la pertinence et la pratique de la ration complète qui a fait ses preuves. »
L'impact des régimes « à volonté » et « limités »
La première étape repose sur un essai mené à la ferme expérimentale des Trinottières (Maine-et-Loire) le 1er semestre 2022. Le troupeau de 60 holsteins, dont 33 % de primipares, recevait dans une auge peseuse individuelle une ration semi-complète équilibrée pour 30,8 litres de lait, composée de : 57 % de maïs ensilage, 16 % d’ensilage de RGI, 5 % d’enrubannage de RGI, 21 % de tourteau de colza et 1 % de minéral. Soit une densité de 0,9 UFL et 81 g de PDI/kg de MS. Sur cette base commune, le troupeau a été conduit en deux lots de 30 vaches, recevant chacun en alternance toutes les trois semaines au Dac soit 1 kg soit 4 kg/vache/jour d’un aliment à 17 % de MAT : un lot avec une ration semi-complète à l’auge à volonté et un lot dit « limité », c’est-à-dire sans la possibilité de compenser la baisse de concentré au Dac par une hausse d’ingestion à l’auge.
Résultats : face à une baisse de 3 kg de concentré, les vaches du lot « à volonté » ont pu maintenir leur production, passant de 33,3 litres à 33,1 litres de lait corrigé à 40/31, grâce à une augmentation de leur ingestion à l’auge de 21,7 à 23,2 kg de MS, mais également en mobilisant davantage d’énergie corporelle exportée dans le lait, c’est-à-dire un bilan énergétique négatif de 0,7 UFL/jour. Sans surprise, les vaches du lot « limité » ont en moyenne davantage baissé en lait (33,3 à 31,7 kg de lait corrigé) et leur bilan énergétique est aussi déficitaire, mais pas significativement plus que les vaches « à volonté » (de - 0,7 à - 0,8 UFL).
L’importance d’une ration de base réellement à volonté
Si la majorité des vaches réagit de la même manière, sans différence notable entre multipares et primipares, l’analyse détaillée révèle une grande variabilité des réponses individuelles. Ainsi, dans le lot « à volonté », 20 % des vaches ont eu une baisse de production supérieure à 1,5 litre de lait/jour, tandis que 20 % sont parvenues à augmenter leur production jusqu’à 0,6 litre, grâce à une hausse d’ingestion à l’auge supérieure à 2,2 kg de MSI/jour et un bilan énergétique compris, selon les individus, entre - 1,4 UFL et + 0,1 UFL. « Si une vache est capable de maintenir sa production laitière en baissant le concentré et que, à l’inverse, sa voisine chute fortement en lait en raison de son incapacité à augmenter son ingestion à l’auge, dans une logique d’économie, l’enjeu est de chercher à soutenir par le concentré uniquement cette dernière », souligne Julien Jurquet, chargé de projet.
Cela suppose au préalable que l’alimentation soit réellement distribuée à volonté. Car, sans surprise, la réponse des animaux du lot « limité » se traduit par des variations de production plus marquées : 20 % d’entre eux ont des baisses de production laitière supérieures à 2,6 litres/jour et un déficit énergétique de plus de 2 UFL/jour. Cela rappelle que le concept d’alimentation de précision repose au préalable sur l’accessibilité de la ration, ainsi que, en amont, sur le contrôle des longueurs de brins ou d’éclatement du grain à la récolte des fourrages, les analyses, la pesée de la ration ou encore la disponibilité en eau d’abreuvement.
Concept de complémentation post-pic de lactation
Avant de proposer un concept adaptable sur le terrain, la seconde étape du programme de recherche consiste à identifier ces profils et leur répétabilité : c’est-à-dire, en fonction du stade, identifier pour chaque animal si la réponse est plus ou moins marquée pour chacun de ces trois critères : lait, MSI et bilan énergétique. « L’objectif est d’aboutir à un plan de complémentation individualisé sur le profil de réponse de chaque vache pouvant être appliqué en routine en élevage », rappelle Amélie Fischer. En l’état, la mise en pratique en ferme consisterait à faire un test de variation du concentré sur tout le troupeau en même temps, afin d’être en mesure d’identifier chaque profil.
La suite du programme de recherche tentera d’identifier s’il est possible de faire ce test sur une période plus courte que trois semaines afin de savoir rapidement comment la vache va réagir et ajuster la complémentation. L’idée serait de trouver un indicateur qui permettrait de s’affranchir de cette phase de test, la principale difficulté en élevage étant de trouver une technologie capable d’évaluer la variation d’ingestion à l’auge de chaque individu.
Rappelons que l’essai mené dans le cadre du projet Harpagon est réalisé sur des animaux après le pic de lactation. Car, dans tous les cas, la vache laitière en début de lactation est programmée pour mobiliser ses réserves et augmenter sa production avec une capacité d’ingestion réduite. La précision de la préparation au vêlage doit permettre d’atteindre plus vite le pic de lactation afin de basculer rapidement vers une complémentation individuelle et de ne pas gaspiller de concentré avec des animaux moins performants. Il faut retenir que plus le niveau de production est haut, plus le risque de dérapage est élevé.
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