Fourrages Équipés pour une alimentation sans ensilage
Afin de sécuriser la qualité du fromage au lait cru tout en maintenant un haut niveau de production laitière, le Gaec de la Cayenne, à Bermonville (Seine-Maritime), a fait le choix du pâturage et de la luzerne séchée en botte aux dépens des aliments fermentés.
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Au cœur du pays de Caux, sur la base d’un système de polyculture-élevage, cinq frères se sont installés sur la ferme familiale en faisant le choix de la diversification : le lait et les cultures de vente, auxquels se sont ajoutés, il y a six ans, la fabrication de camembert au lait cru, puis l’élevage et la vente directe de volailles de chair et, bientôt, un atelier de boucherie à la ferme avec l’engraissement de bœufs et de génisses croisées.
Dans des limons profonds favorables aux cultures industrielles, ils n’ont pas hésité à réimplanter 30 ha d’herbe à proximité des bâtiments et pas moins de 50 ha de luzerne en plaine pour l’alimentation de leurs 180 vaches. « Dans le cadre de la transformation fromagère, nous opérons depuis quatre-cinq ans une évolution du système d’alimentation du troupeau, avec la volonté de nous positionner sur un produit haut de gamme, explique Pierre Bréant, responsable du troupeau laitier. L’idée est de réduire la part des aliments fermentés, voire de les supprimer à terme, sans trop pénaliser la production laitière. Cela afin de maîtriser nos coûts et d’approvisionner une fromagerie dimensionnée pour transformer jusqu’à 5 000 litres de lait par jour. Le challenge est de maintenir une moyenne autour de 8 200 litres de lait par vache. » Pour répondre à l’enjeu de la qualité et du volume, les associés ont d’abord misé sur le pâturage.
Jusqu’à 60 % d’herbe avec 16 ares de pâture par vache
De 4 ha de promenade, c’est désormais toute la surface potentiellement accessible depuis la stabulation qui a été remise en herbe, soit 30 ha avec 800 mètres de chemin d’accès et 1,2 km de haies. Sur cette surface 100 % pâturée, les éleveurs ont implanté des mélanges de différentes précocités, afin de favoriser un décalage de la pousse d’herbe plus propice à l’organisation du pâturage tournant dynamique mis en œuvre depuis deux ans : des mélanges suisses précoces, puis des mélanges de type RGA-TB-TV et des mélanges à base de dactyle pour l’été. Ces 30 ha sont divisés en 15 paddocks de 2 ha, sur lesquels les vaches tournent tous les deux jours, suivis par un passage de deux jours des taries et des élèves qui vont consommer les refus. Pendant la pleine pousse de printemps, les paddocks sont redécoupés en deux au fil. « L’objectif est d’éviter de faucher ces parcelles, indique Pierre. Les mesures herbomètre régulières et l’enregistrement des données dans le logiciel Happy Grass permettent d’ajuster au plus près les quantités distribuées à l’auge. » Ici, le contexte pédoclimatique, mais aussi l’irrigation contribuent à préserver la pousse estivale : un enrouleur assure deux tours d’eau de 20 mm avec les eaux de lavage de la fromagerie et de la salle de traite. Soit une pousse évaluée à 13 t de MS/ha en 2022, assurant jusqu’à 60 % de la ration des laitières pendant un mois et demi au printemps avec 16 ares/vache.
Le séchage en bottes carrées mieux adapté au parcellaire
Parallèlement, l’intégration croissante de la luzerne récoltée en foin vise à favoriser une meilleure tenue des fromages et la prévention des accidents sanitaires de type butyriques ou listeria liés à une fabrication au lait cru.
L’idée est d’apporter une source d’énergie complémentaire avec du maïs grain et de la betterave fourragère. Cette dernière a progressivement fait son retour dans l’assolement pour atteindre aujourd’hui 6 ha. « Grâce à la luzerne, l’exploitation a obtenu la certification HVE de niveau 3. Avec demain jusqu’à 60 ha dans l’assolement, c’est une plante qui doit nous permettre de nous rapprocher de l’autonomie protéique, compte tenu d’un potentiel de rendement réparti en quatre coupes au moins, proche de celui du maïs ensilage. Mais, dans notre région littorale humide, la météo constitue un frein qui nécessitait de s’équiper pour être en mesure de distribuer aux animaux le foin le plus riche possible. »
Pour aller chercher la qualité de récoltes précoces, les associés ont investi et mis en route un séchoir à foin en botte au mois d’août 2022. « Nous étions partis dans l’idée d’un séchoir en vrac classique. Mais l’éloignement des parcelles rendait plus facile et moins coûteux le pressage aux champs et le transport de bottes sur plateau. »
18 ha de luzerne séchée en quatre à cinq jours
Ils ont opté pour le modèle de séchoir Jono, du nom de son concepteur Jean-Édouard Jeauneau, éleveur bio dans l’Eure-et-Loir. Le dispositif est installé sous un bâtiment à ossature bois équipé de 2 500 m² de panneaux photovoltaïques en toiture (500 kW).
Le fonctionnement repose sur quatre ventilateurs qui pulsent de l’air ambiant à haute pression, sans déshumidificateur, ni chaudière, dans quatre gaines recouvertes d’un caillebotis sur lequel on dispose les bottes à sécher (voir photos ci-dessus). Toujours dans une logique d’optimiser la qualité du fourrage, le séchoir est ici associé à l’achat d’une faucheuse conditionneuse à fléaux et d’un andaineur à tapis. L’objectif est de faucher la luzerne à un stade précoce, dès le début bourgeonnement, lorsqu’une fenêtre météo de trois jours se profile. Elle est ensuite pressée en brins courts avec une presse cubique équipée d’un peson pour homogénéiser le poids des bottes, entre 60 et 70 % de MS, après 72 à 48 heures au sol.
Dans la pratique, cela correspond à des balles (120 x 70 x 230 cm) pesant entre 500 et 520 kg. La phase de séchage dure ensuite quatre ou cinq jours. Au Gaec, le dispositif est dimensionné pour traiter 50 balles par ligne de séchage, c’est-à-dire 200 balles au total correspondant à une capacité de séchage instantanée équivalente à 15-18 ha, ou 100 tonnes de luzerne tous les quatre ou cinq jours. « On ne ventile pas en continu. Les ventilateurs tournent de quatre à six heures/jour. »
Un coût de 2 M€
Les premières analyses 2023 révèlent des teneurs de 90 % de MS, à 0,7 UFL/kg de MS et 17,3 % à 18,6 % de MAT. Il faut rappeler que les conditions d’humidité cette année n’ont pas toujours été favorables à la fenaison et que la récolte de luzerne nécessite l’acquisition d’un vrai savoir-faire. Forte de l’expérience de son créateur, la société du Séchoir de Jono propose d’ailleurs un accompagnement technique à long terme. Cela souligne aussi la nécessité de sécuriser les UF avec la betterave et le maïs grain. C’est pourquoi les associés ont également investi dans la fabrication d’aliment à la ferme, avec des cellules pour le stockage des céréales et des matières premières selon les opportunités du marché. À ce titre, le séchoir offre la possibilité de sécher du grain dans la limite maximale de 30 % d’humidité.
Le coût de ces changements représente un investissement global de près de 2 M€, dont 1,2 M€ pour le bâtiment avec le séchoir et 400 000 € pour les panneaux photovoltaïques. L’Agence de l’eau a accompagné financièrement le projet, en contrepartie d’engagements à long terme portant sur l’amélioration de la qualité de l’eau et la baisse de l’IFT (Indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires) d’une exploitation dont 95% des terres sont en zone de captage d’eau. « Il s’agit d’un investissement important qui ne peut se justifier que par la valeur ajoutée dégagée par l’atelier fromager. Nous avançons par étapes, avec l’idée de réduire encore la part de maïs à 30 % d’une ration de base luzerne-betterave-maïs.Charles, mon frère en charge de la fromagerie, souhaite aller vers l’arrêt complet de l’ensilage. Je pense qu’il sera nécessaire d’en conserver un peu. Rendez-vous dans trois ou quatre ans… »
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