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« NOUS COOPÉRONS POUR PRODUIRE NOS BETTERAVES »

De droite à gauche, Isabelle et Jean-Noël Bailly, et François Vallet.PHOTOS © C.R.

La betterave fourragère est entrée au menu des laitières de deux exploitations jurassiennes proches, en AOP comté. Ces éleveurs ont mis des moyens en commun pour la cultiver et la distribuent selon des modalités différentes.

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TOUS DEUX PRODUCTEURS DE LAIT POUR L'AOP COMTÉ, le Gaec de la Ruppe et l'EARL Bailly, distants de 10 km au nord de Lons-le-Saunier, ont cultivé en 2014 quelques hectares de betteraves fourragères. Depuis novembre, ils l'intègrent à leurs rations hivernales à base de foin et regain. « Le cahier des charges de l'AOP limite la quantité moyenne d'aliments complémentaires à 1 800 kg par vache et par an, en moyenne troupeau, pointent Jean-Noël Bailly et François Vallet. La betterave nous apparaît intéressante, notamment pour sa richesse en énergie, un moyen de tenir cette limite en concentrés. »

Le cahier de charges de l'AOP accepte en effet la betterave, à condition de respecter certaines règles de distribution(1).

Plusieurs raisons ont motivé ces éleveurs à produire eux-mêmes leurs racines.

« NOUS DEVONS PROTÉGER NOS BETTERAVES DU GEL »

« La betterave était cultivée ici en Cuma jusqu'il y a une vingtaine d'années. Cela s'est arrêté surtout faute de main-d'oeuvre. Depuis, la mécanisation est passée par là, pour la cultiver et la distribuer, relate François Vallet Chacun de nous a investi dans un godet distributeur. » (voir photos ci-contre).

Quant à Jean-Noël Bailly, il a déjà utilisé cette fourragère il y a cinq ans, durant trois hivers. « J'ai toujours voulu en donner à mes vaches et j'ai pu en acheter dans la plaine du Jura. Nous en avons apporté 10 kg par vache et par jour, sans mécanisation. Il y a eu un petit effet positif sur les taux, un meilleur appétit des animaux, et un effet sur leur santé. » Son épouse Isabelle confirme « des bénéfices au niveau des pattes et des aplombs ».

L'EARL a ensuite préféré abandonner la betterave pendant deux ans « dans l'attente de mécaniser la distribution et d'en produire [eux]-mêmes ».

C'est chose faite. Mi-octobre, les deux agriculteurs ont fait arracher leurs betteraves de variétés dites riches en matière sèche (plus de 16 % de matière sèche) par l'entreprise qui les avait semées au printemps.

À l'aide d'une chargeuse d'occasion achetée et utilisée en commun, François Vallet en a récolté 210 t sur 3 ha et Jean-Noël Bailly 180 t sur 2 ha. Chacun les a stockées sous un hangar, en tas non couvert pour une bonne ventilation. Il a fallu les protéger du gel dès - 5°C, à l'aide de bâches recouvertes de paille. « Le stockage est délicat : si elles gèlent, il faut les faire consommer rapidement, sinon elles pourrissent. Nous comptons donc avoir épuisé nos stocks fin février », expliquent-ils.

Au quotidien, l'un et l'autre en distribuent des quantités différentes, selon qu'ils les donnent en un seul ou deux repas. Jean-Noël Bailly en apporte 18 kg par jour et par laitière, répartis en 9 kg le matin et 9 kg le soir, juste après chaque traite. Ces 18 kg de betteraves s'inscrivent dans une ration journalière équilibrée à 27-28 kg de lait, composée également de foin et regain à volonté, 3,5-4 kg d'orge et maïs et 2,5 kg de tourteaux avec, au-delà de 28 kg, une supplémentation de 0,5 à 1,5 kg d'un aliment VL 3 l.

« LES TAUX SONT PLUS ÉLEVÉS »

« Il faut vingt minutes de travail en plus chaque matin et chaque soir pour apporter les betteraves, évalue l'éleveur. Je devrais normalement y passer moins de temps avec le godet. Mais vu sa conception, je suis obligé de le charger à la main, de manière à écarter les cailloux ! » (voir photo ci-contre). Il compte d'ailleurs changer d'équipement. Côté production, après un mois et demi d'utilisation de la betterave (dont trois semaines d'introduction progressive) et « quelques tâtonnements pour finir par diminuer les céréales et augmenter les tourteaux, avec des taux de 40,2 en TB et 35 en TP », se réjouit Jean-Noël Bailly. Le Gaec de la Ruppe a lui opté pour une seule distribution par jour, chaque matin, de 10 à 12 kg de betteraves par vache (niveau maximal recommandé en un repas). « Ainsi, cela ne complexifie pas trop notre organisation : le soir, nous continuons à apporter seulement du foin et du regain, explique François Vallet. Le matin, nous prenons directement les betteraves du tas avec le godet. Le tout est distribué en un quart d'heure aux 120 vaches bloquées aux cornadis après la traite. »

Leur ration, équilibrée à 20 litres, se compose aussi de foin à volonté, de 6 kg de regain et de 2,5 kg de tourteaux, avec une distribution au Dac de maïs et luzerne et d'un aliment VL 3 l. « La betterave nous a permis de baisser la complémentation d'environ 2 kg par vache, avec des taux plus élevés », témoigne François Vallet.

Leurs stratégies diffèrent, mais les deux éleveurs partagent une certitude : « Utiliser la betterave demande davantage de temps de travail, pour l'alimentation comme la culture : il ne faut pas en faire si on veut gagner du temps ! », préviennent-ils.

« VEILLER À LA PROPRETÉ DE LA CULTURE ET DES RACINES »

Ils identifient le désherbage comme un point délicat. « Il a fallu intervenir plusieurs fois sur les très petites plantules, car les produits sont racinaires. Et nous avons biné. Cela tombe en pleine fenaison, mais il faut intervenir dès que nécessaire. Sinon, l'enherbement concurrence la betterave et gène la récolte. »

L'arrachage par beau temps leur a permis de laisser sécher les racines sur place quelques heures avant de les charger, de sorte qu'elles sont propres. Un point important si l'on veut éviter les butyriques.

Entre le semis et l'arrachage par entreprise (600 €/ha), et les intrants, les agriculteurs chiffrent un coût de culture de 1 200 €/ha. En intégrant les 4 000 € d'achats de matériels en commun (une chargeuse, un pulvérisateur compatible avec l'écartement de semis, des roues étroites), ils considèrent avoir produit leurs betteraves « à environ moitié prix des 45-50 €/t auxquels nous les aurions achetées ».

CATHERINE REGNARD

(1) Le cahier des charges de l'AOP comté stipule que « les betteraves fourragères doivent être soigneusement nettoyées avant leur distribution. Lorsqu'elles sont coupées en morceaux, les betteraves doivent être préparées chaque jour et distribuées séparément des autres aliments ».

Chargeuse à betteraves d'occasion À l'aide de cette chargeuse, achetée 1 000 € dans les Ardennes (plus 800 € de transport), les éleveurs collectent les racines arrachées, après un temps de ressuyage sur le terrain.

À chacun son godet

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