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DES PRAIRIES MULTI-ESPÈCES ET VARIÉTALES POUR RÉSISTER AUX ALÉAS

Vincent Béguier, de Jouffray-Drillaud, et Isabelle Litrico, de l'Inra de Lusignan, travaillent en partenariat.© C. H.

Les mélanges d'espèces couplés à des mélanges de variétés ont une production plus stable. Ils résistent mieux à la sécheresse. C'est ce que montrent l'Inra et Jouffray-Drillaud.

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SOIXANTE-DIX POUR CENT DES PRAIRIES SEMÉES SONT DES MULTI-ESPÈCES. Aux trois quarts, ces mélanges sont réalisés par les éleveurs à partir de composants qu'ils achètent et 20 à 30 % proviennent de mélanges tout faits. C'est dire le potentiel de marché qu'offrent les associations prairiales. Encore faut-il pouvoir élaborer des mélanges qui fonctionnent. Depuis une quinzaine d'années, les chambres d'agriculture et des éleveurs motivés testent des multi-espèces pour les adapter aux conditions de leur région et aux pratiques (pâturage, fauche...). Dans ces associations, pour chaque espèce est choisie une variété. Ils n'ont pas travaillé les mélanges d'espèces couplés à des mélanges de variétés pour chaque espèce.

« OCCUPER TOUTES LES NICHES ÉCOLOGIQUES DE LA PARCELLE »

C'est ce à quoi se sont attelés il y a quatre ans l'Inra de Lusignan (Vienne) et le semencier Jouffray-Drillaud, dont les stations de recherche sont distantes de quelques kilomètres. « Nos travaux reposent sur le principe de l'écologie communautaire, c'est-à-dire l'occupation de toutes les niches écologiques de la parcelle grâce à des caractéristiques différentes des espèces et des variétés. Leur complémentarité diminue la compétition entre elles et permet une meilleure valorisation des ressources », expliquent Isabelle Litrico, de l'Inra de Lusignan, et Vincent Béguier, de Jouffray-Drillaud.

Encore fallait-il s'assurer du bien-fondé de ce principe.

Les deux partenaires ont procédé de deux manières.

À la station de Lusignan, dans des bacs, les graminées dactyle, fétuque élevée et ray-grass anglais sont associées aux légumineuses luzerne et trèfle blanc. Chaque espèce est représentée par un, cinq ou dix génotypes, sans pour autant augmenter le nombre de pieds total dans les bacs (cinquante).

« Durant un an et demi, une partie est irriguée, l'autre est soumise à un stress hydrique pour simuler les aléas météorologiques dus au changement climatique que rencontrent de plus en plus le sud-ouest et le nord-ouest de la France. » Parallèlement, à la station de Jouffray-Drillaud de Saint-Sauvant, des bandes de 10 m2 sont semées en 2011 avec sept espèces : ray-grass, dactyle, fétuque élevée, luzerne, lotier corniculé, trèfle violet et trèfle blanc. Les mélanges comportent une à six variétés par espèce, soit pour le mélange le plus complexe 36 variétés.

Précision : le ray-grass est considéré comme une espèce, avec une déclinaison variétale en ray-grass anglais et hybride.

Autre précision : les mélanges sont conçus pour des prairies temporaires de cinq à six ans et plutôt pour la fauche.

Le ray-grass et le trèfle violet sont choisis pour leur rapidité d'installation et leur rendement fourrager, la fétuque élevée et le dactyle pour leur résistance bien connue à la sécheresse, le lotier corniculé pour ses propriétés tanniques et antiparasitaires, la luzerne pour sa productivité et le trèfle blanc... parce qu'il est incontournable.

« Que ce soit dans les bacs à Lusignan ou en microparcelles à Saint-Sauvant, nous obtenons les mêmes résultats. Les mélanges les plus complexes, c'est-à-dire avec une diversité variétale élevée pour chaque espèce, ne sont pas plus productifs mais leur production est plus stable tout au long de l'année. De plus, ils maintiennent mieux l'équilibre entre les espèces, ce qui est un gage de qualité. Sous contrainte hydrique, ils s'en sortent mieux en matière de production et de stabilité », expliquent-ils.

Un bon point pour la résistance aux aléas climatiques.

Cette stabilité est-elle due à la plus grande diversité variétale ou à des variétés très intéressantes qui se trouvent dans les mélanges ? C'est que les mélanges les plus complexes ne sont pas un fourre-tout qui a été construit à l'aveuglette.

LA LUZERNE SE COMPORTE BIEN DANS LES MÉLANGES, SANS RAISON CONNUE

Pour chaque espèce, des variétés complémentaires, existantes sur le marché et en cours de sélection, ont été combinées pour couvrir la plus grande gamme de niches écologiques. Par exemple, port dressé ou plus étalé pour la luzerne, ray-grass anglais diploïde ou tétraploïde, trèfle blanc géant ou plus ramassé, etc.

« En l'état actuel de nos recherches, nous ne savons pas quelles sont les variétés encore présentes et dans quelle proportion. Personnellement, nous sommes convaincus qu'aucune variété n'a pris le dessus sur d'autres mais ce n'est pas prouvé. Dans ce but, l'Inra entame la deuxième phase de ce programme : la recherche des caractères intéressants pour évoluer en mélange, indique Isabelle Litrico. Pour cela, toutes les variétés utilisées dans la première phase vont être analysées de façon très fine (morphologie, alimentation minérale, stratégie de pousse, valeurs alimentaires, etc.). Certains en influenceront positivement ou négativement d'autres. À nous de le découvrir. »

Vincent Béguier prend le relais avec l'exemple des luzernes Luzelle et Timbale inscrites en en 1994 et 2003 : « Leurs performances de production sont aujourd'hui dépassées par d'autres variétés plus récentes. En revanche, elles se comportent bien dans un mélange multi-espèce à plusieurs variétés de luzerne. Est-ce dû à la bonne résistance aux maladies foliaires (Timbale), au port étalé (Luzelle) ? Nous ne faisons que le supposer.

En réalité, nous ne savons pas pourquoi. » Ce programme de recherche ouvre de nouveaux horizons dans la sélection prairiale. Aujourd'hui, l'autorisation de mise en marché est monovariétale pour une espèce donnée cultivée en pur. « Leur sélection est menée en réduisant leur base génétique pour obtenir le génotype idéal recherché », explique Isabelle Litrico.

L'objectif des deux partenaires est de créer des mélanges multi-espèces et variétaux. Leur inscription en tant que tel au catalogue n'est pas possible aujourd'hui. Ils vont militer pour que les variétés qui ont démontré leur intérêt dans un mélange puissent l'être. « Cela change en profondeur la sélection génétique végétale en vigueur depuis cinquante ans. Le contexte environnemental évolue. Le réchauffement climatique se traduit par des aléas climatiques auxquels les prairies multispécifiques peuvent mieux répondre. »

CLAIRE HUE

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