CAMPAGNOLS : LA MAÎTRISE DES PULLULATIONS EST POSSIBLE
par JEAN-MICHEL VOCORET14/11/201612 min de lecture
L'alternance fauche-pâture n'a pas que pour vertu de faire piétiner les vaches pour détruire les galeries de campagnols. Elle permet aussi de limiter les refus, un véritable havre de paix pour ces derniers.PHOTOS J.-M.V.
L'expérience menée dans le Doubs, dans deux secteurs précis, prouve tout l'intérêt du concept de lutte raisonnée pour ne plus subir les pullulations de campagnols. Elle s'appuie sur un choix d'actions à mener collectivement, au risque d'échouer.
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DE 9 000 À 25 000 EUROS... TEL EST L'IMPACT FINANCIER d'une année de pullulation de campagnols terrestres pour une exploitation laitière de 70 ha d'herbe, typique du massif jurassien. Ce surcoût de 130 à 357 €/ha intègre la remise en état des prairies dévastées, l'achat de fourrage et d'aliments complémentaires pour pallier les pertes de rendement fourrager, mais aussi d'engrais supplémentaire. Cette estimation appelée à être affinée vaut en année « normale ». Avec une forte pullulation, ce qui risque d'être le cas l'an prochain dans le Haut-Doubs, la sanction est beaucoup plus lourde : 430 à 570 €/ha en ajoutant l'effet toujours possible d'une spéculation sur les matières premières.
AGIR DE FAÇON PRÉVENTIVE POUR NE PAS ÊTRE DÉBORDÉ
Cet impact est à rapprocher de l'estimation (à affiner aussi) du coût de la lutte raisonnée, concept promu en Franche- Comté par la Fredon(1). D'après cette dernière, il n'en coûterait que 35 €/ha pour cinq ans, soit moins de 10 €/ha/an. Même si ce chiffrage, réalisé sur quatre exploitations des Combes (Doubs), n'intègre que le coût des produits utilisés (appâts de blé empoisonné, gaz), des autres moyens de lutte (broyage des refus, décompactage du sol…) et la main-d'oeuvre, la marge est grande pour atteindre 130 €/ha.
Ce concept de lutte raisonnée ne sort pas d'un chapeau, mais de l'expérience probante menée dans le Doubs. D'abord à La Vrine, sur la Zélac, zone expérimentale de lutte anticampagnols, près de 1 000 ha avec tous les ingrédients paysagers du massif du Jura où le campagnol prospère : un openfield bordé de massifs forestiers. Autre secteur à la pointe de la guerre contre ce nuisible des prairies, celui du Clac (Charquemont lutte anticampagnols), 1 100 ha de même nature.
Qu'y a-t-on appris lors des pics de pullulations de 2005 et 2006 ? Qu'il était possible de retarder l'arrivée des campagnols et de faire une année de récolte de foin quasi normale quand ses voisins n'ont à faucher que les hectares qu'ils ont ressemés au printemps sur des prés de fauche noircis de tumulus de terre. On y a aussi démontré que l'année suivant le pic, la pression des campagnols était d'une intensité réduite, permettant là encore de limiter l'impact sur les rendements en foin-regain.
Comment arriver à ce résultat ? Avant tout par une action préventive, en période de basse densité de population de campagnols. Ce qui va de pair avec une surveillance suivie des prairies. Inutile d'agir quand les tumulus sont légion, signe que les campagnols sont déjà là en masse. D'ailleurs quand ce cap, qui arrive très vite, est franchi, la réglementation interdit tout traitement chimique pour éviter les nuisances sur la faune non-cible.
UNE BOÎTE À OUTILS DE MOYENS DE LUTTE
Autre critère capital, la mise en oeuvre d'une boîte à outils de moyens de lutte, prenant en compte le puzzle écologique du campagnol. Certains le visent directement, comme le piégeage. Moins gourmand en temps, le traitement chimique avec du blé empoisonné à la bromadiolone (un anticoagulant). Cela à la « tâche » ( seulement dans les zones des tumulus de terre), à la charrue soussoleuse ou au fusil à blé selon le degré d'infestation. Fini les traitements de plein champ des années quatre-vingt-dix avec leurs dommages collatéraux sur les renards, buses, etc. Les essais de la Zélac ont démontré qu'il était possible avec ces traitements ciblés de réduire les quantités d'appâts utilisés de 20 kg à moins de 5 kg de blé par hectare avec la même efficacité, tout en diminuant de plus de la moitié les cadavres de campagnols intoxiqués retrouvés en surface.
Ces traitements de plein champ avaient aussi pour inconvénient de recréer des galeries dans lesquelles les survivants ou d'autres arrivants proliféraient. C'est la raison pour laquelle la lutte vise aussi les taupes qui en creusent des centaines de mètres. Des travaux de l'université de Franche-Comté ont démontré que plus les taupes sont présentes dans une prairie, plus les campagnols la colonisent rapidement. D'où l'utilisation du piégeage ou du gazage au PH3 pour maîtriser les taupes.
2012, UNE ANNÉE TEST
C'est aussi pour détruire les galeries de campagnols que sont préconisés le piétinement par les vaches, l'emploi d'un rouleau à plots ou l'alternance fauche-pâture. Le passage d'un décompacteur, voire le retournement des prairies sont aussi sur la liste. En détruisant ces galeries, on oblige les campagnols à se manifester à leur arrivée, et ainsi à mieux cibler la lutte. Autre axe : casser la monoculture d'herbe, identifiée comme l'un des facteurs principaux de pullulation des mulots. Mais le retour préconisé à 5 ou 10 % de céréales dans les openfields herbagers se heurte à la réglementation de la Phae et l'interdiction de retourner des prairies, sauf après autorisation, pour y réimplanter de l'herbe.
Autre méthode de lutte complémentaire qui a fait ses preuves à la Zélac et au Clac : favoriser la prédation naturelle en entretenant ou réimplantant des haies, en installant des perchoirs à rapaces, en préservant les murets de pierres… Autre enseignement de ces deux expériences : la lutte raisonnée ne fonctionne qu'à condition d'être collective. Si les résultats ont été aussi probants à Charquemont en 2005 et 2006, c'est que 36 des 37 exploitants du site ont joué le jeu.
C'était sous l'impulsion d'une « taupière » embauchée pour un coût modique (11 €/ha/ an) grâce au soutien financier de la commune, la région et la Frédon. Son rôle : surveiller, promouvoir les moyens de lutte et inciter les agriculteurs à agir. Mais quid de la réussite sans cet aiguillon dont le contrat a pris fin en 2009 ? Surtout quand la motivation individuelle n'est plus autant au rendez-vous, phénomène naturel quand on vit depuis 2008 avec des années à faible densité de campagnols… et peu de dégâts apparents. Sur les 36 exploitants au départ dans l'association Clac, il n'en reste que 20 engagées dans la lutte raisonnée. 2012 sera pour tous une année test, sans doute plus difficile à passer que 2006.
JEAN-MICHEL VOCORET
(1) Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles. Un site utile : www.campagnols.fr