LE « RALLYE POILS », L'AUTRE FAÇON DE RECALER SA RATION
Entre le Doubs et la Haute-Saône, cinq éleveurs se réunissent chaque année en début d'hiver pour visiter leurs cinq troupeaux. L'occasion pour celui qui reçoit d'avoir autant d'yeux extérieurs pour identifier ce qu'expriment ses vaches de leur alimentation.
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La discussion du midi tourne autour du problème de valorisation de la ration de base chez Philippe : « J'ai trouvé ton foin de luzerne bien assez compressé. Est-ce un problème lié à ta presse ? », questionne Nicolas. « C'est une chambre variable. Mais c'est vrai que j'ai tendance à presser la luzerne le soir pour la préserver », répond l'intéressé. Même souci de valorisation des fourrages, mais sur une ration complète chez Jean- Claude, seulement 11 l/VL. La question est posée au moment du café. Laurent lance une idée : « Mets 5 kg de moins de maïs pour accompagner l'enrubannage de luzerne, le foin et les 4 kg de concentrés. Tu devrais peut-être aussi déparasiter. »
UNE MÉTHODE ADAPTÉE À L'APPROCHE EN ÉLEVAGE
Trois ans déjà que ces cinq producteurs de lait, installés entre le Doubs et la Haute- Saône dans un rayon de 10 km, suivent le même rituel. Trois à cinq fois par an, Philippe Oudot de Blarians, Jean- Marie Bonjour d'Aubertans, Jean-Claude Grangeot de Beaumotte-Aubertans, Laurent Dodane de Marloz et Nicolas Mougin d'Argirey se retrouvent une journée. Au programme de ce « Rallye Poils », la visite de leurs fermes, trois le matin, deux l'après-midi. C'est l'occasion de mettre en application la méthode Obsalim(1), mise au point par Bruno Giboudeau il y a quelques années. Ce vétérinaire est le premier à avoir mis en musique ce que tout bon éleveur apprend dans sa carrière : « Les vaches “parlent” d'alimentation, il suffit de les observer. » D'un livre répertoriant ces différents symptômes, il est passé à un jeu de 61 cartes et un guide pratique orientant sur les décisions à prendre, deux outils bien plus opérationnels en élevage.
Ces cartes sont regroupées par couleur, autant que les 12 « sites » à observer : poils (6 cartes), peau (4), bouses (11), urines (3), oeil (6), nez (4), pied (4), ingestion (4) et rumination (3), lait (4) et reproduction (3), état général (7), comportement (2) et croix du grasset (2). À chaque symptôme est associée une note jugeant du niveau d'excès ou de déficit sur sept critères clés : l'énergie fermentescible et globale, l'azote soluble et global, les fibres fermentescibles et de structure, et la stabilité ruminale.
L'INTÉRÊT DE L'OeIL EXTÉRIEUR D'UN GROUPE
Face au troupeau, il faut sélectionner les cartes des symptômes les plus visibles et représentées avec au moins trois sites (donc trois couleurs). Puis il faut faire les totaux pour hiérarchiser les facteurs limitants ou excédentaires pour corriger, au final, la ration en se reportant au guide qui répertorie 51 cas de diagnostics types. « Dans son propre élevage, on n'est pas objectif. C'est tout l'intérêt de notre groupe avec des yeux extérieurs qui ciblent ce que l'on ne voit plus chez soi par habitude », résume Nicolas Mougin. Exemple concret chez Jean-Marie Bonjour, dernière visite du groupe ce jour-là. Un symptôme saute aux yeux de tous : la zone pHG, caractéristique d'un léchage des poils en arrière de l'épaule. Elle signe une acidose postprandiale et sans doute un problème d'organisation des repas. Les autres symptômes relevés vont dans le même sens. Il y a ici un souci majeur d'instabilité du rumen pendant et après le repas, lié à de fortes variations du pH ou des irrégularités d'apport d'un repas sur l'autre. L'évaluation approximative du niveau de valorisation de la ration, une fois déduits les 2,6 kg de concentrés apportés par jour (1,6 kg de mélange céréalier et 1 kg de tourteau), en témoigne. Les 6 kg de foin, 10 kg d'enrubannage de luzerne et 5 kg de regain couvrent à peine 10 l de lait. L'examen du foin donné en début de repas avant l'enrubannage, puis des céréales et du regain oriente le conseil. « Pas assez fibreux, même s'il s'agit d'un foin tardif », juge le groupe. Bruno Giboudeau, sollicité ce jour-là, acquiesce. Une proposition se dégage pour résoudre cette chute de pH suivant le repas : commencer par l'enrubannage de luzerne bien plus fibreux. Sur les génisses, le groupe repère d'autres signes révélateurs d'un déséquilibre : toujours la zone pHG, des poils en crête sur l'échine et des robes déstructurées, des bouses variables et des flancs bombés en permanence. Le coupable est identifié. Ces jeunes animaux reçoivent le même foin soi-disant tardif, mais surtout de l'enrubannage d'un mélange prairial suisse en stock qui, l'an dernier, allait aux laitières. Trop riche pour eux. La solution proposée : rationner ce fourrage.
JEAN-MICHEL VOCORET
(1) www.obsalim.com
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