Comment inciter les éleveurs à se lancer en bio ?
Contexte de marché peu porteur, difficultés réglementaires, politiques de soutien insuffisantes : malgré la conviction et l’adhésion au modèle, un certain nombre de freins demeurent pour les agriculteurs qui souhaitent privilégier le bio. Qu’est-ce ce qui incite les éleveurs à produire en bio aujourd’hui ? Comment les convaincre davantage ? L’Académie d’agriculture a consacré sa séance à ces questions le 17 septembre dernier.
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En 2024, la consommation de produits animaux bio dans la consommation à domicile a atteint 22,2 %, actant une décroissance nette comparativement à 2012 où elle représentait 30 %. Et contrairement à d’autres catégories de produits bio, il n'y a pas eu de reprise des achats par rapport à 2023. Le secteur des viandes bio, qui connaît une chute de 27 % en valeur depuis 2020, fait ainsi partie des segments les plus touchés.
Si la conjoncture n’est pas porteuse, reste que, pour les éleveurs, le choix du bio est plus souvent dicté par la conviction que par le contexte économique. Philippe Collin, agriculteur et éleveur dans l’Yonne, est passé au bio en 1998, poussé par « la volonté d’arrêter de traiter » avec le souci de « se préserver de pesticides dont la nocivité était déjà connue à l’époque ». Dans sa ferme spécialisée en grandes cultures, il a rapidement « mesuré les impasses de l’agriculture céréalière sans élevage » après avoir réintroduit des légumineuses sur son exploitation. L’élevage est ainsi revenu sur la ferme en 2012. Pour lui, le modèle revêt un intérêt agronomique, mais aussi social, favorisant l’embauche de salariés, et le dynamisme du territoire, ce qui permet de lutter contre « l’isolement dans les campagnes ».
Des vaches bio moins malades qu’en conventionnel ?
Au-delà de ces atouts sur les plans sociaux et agronomiques, existe-t-il un intérêt sanitaire à privilégier l’élevage biologique ? Pour Marc-Antoine Driancourt, membre de l’Académie d’agriculture, spécialiste en zootechnie, la réponse n’est pas évidente.
D’une part, en raison du type génétique utilisé. Les Holstein demeurent par exemple la référence en élevage laitier conventionnel, quand les éleveurs bio privilégient souvent des croisées ou des races plus rustiques. En outre, le contexte d’élevage est plus favorable à la santé en bio, explique Marc-Antoine Driancourt : les animaux sortent davantage, les fermes de plus petite taille permettent des soins plus attentifs car l’éleveur a plus de temps à passer pour la prévention, « l’une des clés de voûte de la santé animale en bio », indique-t-il. Dernier élément, ajoute-t-il, les animaux bio produisent moins – environ - 20 % par rapport aux vaches laitières en conventionnel –, or « un certain nombre de maladies métaboliques sont liées à la production ».
Revoir la séance de l'Académie d'agriculture consacrée à "l'élevage biologique aujourd'hui et demain" :
Pour autant, « ils ne sont pas moins malades, ils sont malades différemment », résume Marc-Antoine Driancourt. En élevage laitier bio, « les maladies métaboliques sont plus rares, les boiteries aussi, mais tout ce qui tourne autour de la santé de la mamelle est plus dégradé, les comptages cellulaires sont souvent plus élevés, et la fréquence de mammites reste le plus gros problème à traiter par les éleveurs bio », explique-t-il.
Soigner ses animaux en bio : une réglementation parfois inadaptée
Et dans le cas de maladies, les éleveurs bio ont parfois plus de difficultés à soigner leurs animaux avec les moyens à disposition. Les traitements allopathiques sont permis, en contrepartie d’un temps d’attente doublé pour protéger le consommateur, mais 80 % des éleveurs bio n’y font pas appel par éthique. Restent d’autres outils : les traitements homéopathiques, sur lesquels « la littérature qui justifie leur efficacité est tenue pour ne pas dire pire », souligne Marc-Antoine Driancourt, mais aussi la phytothérapie.
Ce dernier levier se heurte à plusieurs contraintes, car seul un produit dispose aujourd’hui d’une autorisation de mise en marché (AMM). Pour le reste, les vétérinaires prescrivent des préparations qu’ils font eux-mêmes, avec « un temps d’attente arbitraire », « ce qui est extrêmement pénalisant, en lait, quand on doit le jeter pendant sept jours », explique le scientifique. Ce temps d’attente est obligatoire compte tenu du fait que 90 % des plantes ou extraits de plantes utilisés n’ont pas de limite maximale de résidus déterminée, faute d’AMM.
La plupart des éleveurs ont contourné la difficulté en considérant que la phytothérapie n’était pas un médicament, mais un additif alimentaire, et relève donc d’un champ d’application soumis à une autre réglementation. Cette solution leur permet aujourd’hui d’utiliser les médicaments qu’ils souhaitent, mais « on se situe sur la ligne blanche au niveau réglementaire », note Marc-Antoine Driancourt.
Pour en sortir, deux dynamiques sont actuellement en cours : l’Agence nationale du médicament vétérinaire souhaite caractériser la toxicité d’un certain nombre de plantes d’usage courant pour les inscrire sur la liste 1 du règlement européen relatif aux substances pharmacologiquement actives et à leur classification en ce qui concerne les limites maximales de résidus dans les aliments d’origine animale, afin de ne pas avoir besoin ensuite de limite maximale de résidus. En parallèle, un groupe d’éleveurs, « Plantes en élevage », revendique une approche plus simple en créant une nouvelle catégorie dans le Code rural, celle de « préparation naturelle traditionnelle, composée exclusivement de substances naturelles à usage biostimulant », qui permettrait un usage libre.
Améliorer les politiques de soutien au bio
En France, la Pac 2023-2027 a augmenté le soutien à l’agriculture biologique (via l’écorégime) et le crédit d’impôt bio est passé de 3 500 à 4 500 €, explique Hervé Guyomard, spécialiste des politiques publiques (Inrae). Cependant, l’objectif reste d’augmenter les surfaces, ce qui n’est pas le plus pertinent pour l’élevage, ni du point de vue de la demande. « La question qui se pose, c’est pourquoi continuer ce focus sur les surfaces sans se demander pourquoi on veut développer l’agriculture biologique ? », demande-t-il.
Afin d’encourager davantage l’agriculture biologique, il serait déterminant à l’avenir de considérer l’agriculture biologique non plus à travers son cahier des charges, mais par ses externalités positives, que les collectivités devraient prendre en charge, estime Philippe Collin. L’agriculteur prône, en parallèle, des mesures de protection des marchés en cas d’engorgement, et des mesures de soutien spécifiques sur le produit lui-même.
Pour Hervé Guyomard, « il faut explicitement reconnaître que les systèmes alimentaires en Europe et dans le monde ne sont pas durables » et entraînent des problèmes en matière d’environnement et de santé. « Pour éviter les guerres que l’on a entre modèles, on invente de nouvelles agricultures, mais tant qu’on ne passera pas à une logique de résultats et d’impacts, au lieu d'une logique de pratiques, on aura toujours cette guerre-là. » Et si aller vers une mesure des impacts semble plus compliqué à mettre en œuvre, il faut noter que « les rares MAEC qui associent logique d’obligation de pratiques et de résultats sont parmi les meilleures en termes d’efficacité de l’argent public dépensé », rappelle-t-il.
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