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Filière laitière bio : entre vague de déconversions et espoirs de rééquilibrage

La conjoncture du lait bio est morose dans l'Hexagone, et les déconversions vont bon train.

La filière laitière bio traverse une crise marquée par une chute du nombre d’éleveurs et une consommation en berne. Entre inquiétudes face aux déconversions massives et signaux timides de reprise, un grand nombre de producteurs veulent défendre leur modèle.

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La filière laitière peine à sortir de la crise du bio. Après avoir atteint un pic de 4 003 livreurs en 2022, la France n’en comptait plus que 3 688 à l’été 2025, soit une baisse de 15 % en trois ans. La collecte a suivi le même mouvement : de 1,3 MdL en 2022, elle est tombée à 1,13 MdL en juillet 2025. Ce recul touche toutes les régions, avec des baisses particulièrement marquées hors du Grand Ouest et des Alpes. Certaines zones ont perdu plus de 20 % de leurs volumes.

Surtout, la nature des cessations a changé. Avant 2021, les départs concernaient surtout des arrêts définitifs de l’activité laitière. Désormais, la majorité des fermes qui cessent leur production bio retournent au conventionnel, y compris des exploitations de grande taille, de 400 000 litres annuels, bien au-dessus de la moyenne nationale. Selon une enquête menée par le Cniel, le rythme des cessations a atteint 7 % sur un an, un niveau record qui pourrait être dépassé d’ici mi-2026.

Un écart de prix de 13 % entre le conventionnel et le bio

En cause, une demande qui s’est effondrée à partir de 2021, en raison de l’inflation, entraînant des déclassements massifs : jusqu’à 40 % des volumes laitiers bio ont été orientés vers le conventionnel en 2021, privant la filière de valorisation. Cette surproduction relative a pesé lourdement sur le prix payé aux producteurs, qui a progressé de seulement 5 % en deux ans, bien moins vite que les charges. En parallèle, le prix du lait conventionnel a fortement augmenté, réduisant l’écart qui justifiait jusque-là la conversion. Alors que ce différentiel atteignait encore 120 € par 1 000 litres en 2019, l’écart n’était plus que de 50 € en 2024.

Dans les rayons, la différence entre lait conventionnel et lait bio est passée de 18 % en 2021 à 13 % aujourd’hui. Une spécificité française : en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, le bio est rémunéré via une prime par rapport au conventionnel, ce qui a permis à ces marchés de rebondir rapidement après le creux lié à l’inflation. L’exemple allemand est frappant : la consommation de lait liquide bio, qui avait chuté en 2022, a non seulement retrouvé son niveau d’avant-crise mais atteint un record avec 15,5 % de parts de marché, soit 50 % de plus qu’en France.

Pour Corentin Puvilland, du Cniel, « la filière française se rééquilibre aujourd’hui davantage par la baisse de l’offre que par le rebond de la demande ». Les tensions sont déjà visibles sur certaines matières premières. « Il y a des tensions sur l’approvisionnement en matière grasse, car il y a eu de nombreux déclassements volontaires en raison des cours de la crème conventionnelle très incitatifs, explique l’expert du Cniel. Cela a eu un impact sur la filière liquide bio, notamment le lait entier, qui consomme beaucoup plus de matière grasse que de matière protéique. »

Les élevages bio, très impactés par les aléas climatiques

Les laiteries doivent jongler avec une collecte saisonnière, encore plus marquée en bio, et des fermes dispersées sur le territoire. Certaines zones ne sont plus collectées, faute de volumes suffisants, fragilisant encore davantage les exploitations isolées. Christine Goscianski, économiste à l’Idele, insiste sur la dimension structurelle de la crise. Les systèmes laitiers bio, fortement dépendants de l’herbe et du pâturage, sont très exposés aux aléas climatiques. Les sécheresses à répétition compliquent la sécurisation des stocks fourragers, poussant certains éleveurs à abandonner le cahier des charges bio. Le coût prohibitif des aliments biologiques, utilisé en complément, n’arrange rien. La dispersion géographique des exploitations, plus petites en moyenne que les fermes conventionnelles, renchérit les coûts logistiques de collecte. Et alors que la filière s’interroge sur sa capacité à attirer de nouveaux producteurs, le risque d’une pénurie se profile à moyen terme, si la reprise de la consommation se confirme.

Côté achats, les enquêtes montrent que les ménages n’achètent plus un yaourt ou un fromage uniquement parce qu’il est estampillé AB. Le local, la transformation fermière, la simplicité des recettes ou encore l’absence d’additifs deviennent des critères déterminants. Pour retrouver du dynamisme, la filière devra donc redonner du sens. « Il y a quinze ans, le logo bio suffisait à créer de la valeur, observe Christine Goscianski. Aujourd’hui, il doit s’inscrire dans un récit plus large, sur les externalités positives, telles que la santé, l’environnement, le lien au territoire. » L’application stricte de la loi Égalim, qui impose 20 % de bio dans la restauration collective, offrirait un bol d’air : son respect permettrait d’absorber 100 millions de litres de lait supplémentaires, contre seulement 80 millions aujourd’hui. Mais cette perspective reste suspendue à la volonté politique des collectivités et à la mobilisation des acheteurs publics.

37 % d’éleveurs laitiers bio optimistes pour la suite

Au-delà des chiffres, le projet Basylic, qui a interrogé une centaine d’éleveurs fin 2024, met en lumière leur rapport contrasté à l’avenir. Environ 37 % se disent optimistes, convaincus que la consommation repartira grâce à une communication plus positive et à la prise de conscience environnementale. Un peu plus d’un tiers adopte une vision mitigée, misant sur une stabilité, à la condition d’innover et de s’allier à d’autres labels de qualité. Enfin, près d’un quart exprime un pessimisme marqué, anticipant la poursuite des baisses de consommation et des arrêts de collecte. Tous cependant soulignent la nécessité de renforcer l’autonomie fourragère, d’adapter les prairies au changement climatique et de diversifier leurs activités, que ce soit par la viande issue du troupeau laitier, l’agroforesterie ou la transformation à la ferme.

La crise du bio agit comme un révélateur des fragilités de la filière laitière, mais aussi comme un accélérateur de changements. Entre une offre qui s’ajuste brutalement par les déconversions, une demande qui peine à redémarrer, malgré des premiers signaux positifs, et des producteurs partagés entre découragement et volonté de se réinventer, l’équilibre reste précaire. S’il parvient à se rétablir, il pourrait ouvrir une nouvelle phase de consolidation. Faute de quoi, la bio française, pionnière en Europe il y a encore dix ans, risque de se voir reléguée au second plan, contrainte de compter sur des importations pour satisfaire ses consommateurs.

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