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Champ planet'terre, passe et impasse 200 ans après Napoléon en Russie, la campagne Ukrainienne

Pour redresser son secteur laitier et s’affranchir de son partenaire russe, le gouvernement ukrainien a décidé d’encourager la reconstitution de grandes exploitations avec plusieurs centaines de vaches laitières ; telle celle de Lomovate, un ancien kolkhoze de la période communiste repris par le groupe coopératif Euralis. La France, 2ème exportateur net de produits laitiers au niveau mondial, doit-elle se sentir menacée aux portes de l’Union européenne ? Un article extrait de Terre-net Magazine n°11.

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(© Btpl)

En Ukraine

L'exploitation de Lomotave à Cherkassy

L'ancien kolkhoze fait peau neuve

Des kolkhozes, qui fournissaient l’essentiel des 25 Mt de lait produites annuellement en Ukraine avant l’indépendance du pays en 1991, ne subsistent que quelques fermes. Certaines ont été rachetées par d’anciens salariés, qui n’ont pas modernisé l’outil de production faute de moyens ; d’autres par des investisseurs, intéressés essentiellement par les sols noirs, profonds et fertiles, caractéristiques de la région : les fameux tchernozioms. Il est vrai, qu’avec des températures extrêmes oscillant entre -35°C
et +35°C, le climat est peu propice à la production laitière.

11 Mt de lait produites à 80 % par les babouchkas

Avant son indépendance en 1991 et l’éclatement de l’Urss, l’Ukraine produisait jusqu’à 25 Mt de lait, soit quasiment autant que la France. Aujourd’hui, le pays ne collecte plus que 11 Mt.
80 % de la production est dorénavant réalisée par des petits producteurs, propriétaires chacun d’une ou deux vaches et détenteurs de 80 % du cheptel ukrainien.
Alarmé par la situation, le ministère ukrainien de la politique agraire prépare un programme de relance de la production laitière.

Et pourtant, Euralis, premier groupe coopératif agroalimentaire du Sud-Ouest de la France, a repris une ferme laitière de 700 vaches : l’ancien kolkhoze de Lomovate, à Cherkassy au sud de Kiev, qui s’étend sur 2.000 ha et emploie 330 personnes.

L’élevage laitier allait alors à vau-l’eau, sans réel management et sans capitaux. Les tâches, très fragmentées, étaient effectuées sans concertation : les femmes, par exemple, assuraient la traite (20 vaches chacune), certains salariés l’alimentation et d’autres encore les travaux d’entretien.

Des bêtes en piteux état

Si le potentiel génétique du troupeau était assez bon, les bêtes en revanche étaient en piteux état. Manque de fourrage, ensilages de très mauvaise qualité : les rations alimentaires n’étaient pas équilibrées. Mais surtout, les conditions d’hygiène étaient catastrophiques, en particulier au niveau du circuit et de la conservation du lait.


Du temps de l'ancien kolkhoze, les travaux agricoles étaient très
fragmentés et effectués sans concertation entre salariés : les
femmes, par exemple, assuraient la traite. (© Btpl)

Dès son arrivée, la première mission de Kriss Francken, le nouveau « manager » de l’exploitation, a été de trier les vaches pour ne garder que 550 laitières en état de produire. Il a fallu également revoir l’organisation de l’élevage. Priorité : la traite. Kriss Francken est passé de 3 à 2 traites par jour et a opté pour un système de pots avec décrochage automatique. Il a aussi regroupé les vaches par stade de lactation, avec une conduite spécifique pour chaque lot. Parmi les autres changements : l’introduction d’ensilage de luzerne dans les rations et la réduction de l’âge au premier vêlage.

Par ailleurs, une mélangeuse d’occasion et une ensileuse ont été importées de France (Ndlr : bol d’une capacité de 8 m3 pour 550 vaches !) au printemps dernier. Mais, la qualité des fourrages récoltés restent médiocre en raison du manque de matériel, de sa vétusté et de l’absence de pièces détachées disponibles. Les travaux d’end’ensilage, entre autres, traînent en longueur et sont sans cesse interrompus par des pannes.

Enfin, Kriss Francken s’est attaqué à un vaste chantier, le management des salariés, qui exige une présence permanente sur le site. Certes, les employés sont polyvalents puisqu’ils sont capables, par exemple, de passer de la traite manuelle à la traite mécanique avec pré-trempage et désinfection. Mais, ils sont habitués à ce qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire. Il faut donc leur apprendre à prendre des initiatives et à travailler tous dans le même sens pour la réussite de l’entreprise. Cela nécessite des explications et du temps.

Prendre des initiatives


Le premier chantier après la reprise de l'exploitation de
Lomovate : améliorer les conditions d'hygiène de l'élevage.
(© Btpl)

Ainsi, les bouleversements dans la gestion de l’ancien kolkhoze sont nombreux et les résultats prometteurs. Comme le montre l’audit réalisé par Philippe Wallet du Btpl avec Kriss Francken et Jean Menvielle d’Euralis. Le taux de fertilité des vaches augmente, les intervalles entre vêlages sont mieux maîtrisés et la croissance des génisses s’améliore. Des progrès sont encore attendus avec l’entrée en production des génisses élevées depuis 2010.
Toutefois, il reste beaucoup de choses à faire : construire une laiterie, une aire de stockage du lait et une salle de traite aux normes européennes, améliorer la ventilation des bâtiments et installer des logettes.
Ces transformations s’accompagnant d’investissements importants, sans sécurité foncière (le code rural ne prévoit pas de baux à long terme, Ndlr), dans un pays instable politiquement. Néanmoins, la tonne de lait de qualité moindre est payée 350 €, ce qui augure des marges suffisantes pour rentabiliser les nouveaux équipements de l’exploitation.

Flou juridique sur la propriété des terres

Dorénavant, les terres agricoles sont réparties entre les anciens salariés des kolkhozes, devenus ainsi propriétaires de parcelles de 4 ha en moyenne. Depuis 2001, un moratoire interdit tout échange de leurs « païs » (titres de propriété, Ndlr), figeant ainsi les structures en place. Pour s’agrandir, un exploitant privé doit alors louer des terres à de multiples propriétaires qui ne savent pas, souvent, où sont situées leurs parcelles. Et les baux conclus n’excèdent pas 5 ou 15 ans, ce qui limite toute velléité d’investissement.

En France

Analyse de Gérard Calbrix, économiste à l'Atla (1) 

L'Ukraine inquiète la filière laitière


Gérard Calbrix considère que « l'Union européenne est
extrêmement attractive pour les industriels laitiers implantés
en Ukraine ». (© DR)

« Très vigilant, le secteur laitier français veut éviter une ouverture du marché européen aux produits ukrainiens. Même si ce pays éprouve de grandes difficultés à développer sa production laitière, son potentiel de croissance s’avère important ; en particulier, si Euralis et d’autres investisseurs occidentaux remettent à niveau l’ensemble de la filière comme le mentionne Philippe Wallet dans son article.

Aujourd’hui, l’essentiel des exportations ukrainiennes de produits laitiers sont destinées à la Russie dans le cadre, entre autres, d’accords de troc pétrole/gaz contre produits laitiers. Ces courants commerciaux, qui datent de l’ancienne Urss, perdurent malgré l’indépendance de l’Ukraine et ses relations souvent orageuses avec son puissant voisin russe.

Depuis vingt ans, le pays cherche à se détacher économiquement de l’emprise de la Russie et à se rapprocher de l’Europe de l’Ouest avec la volonté, à terme, d’entrer dans l’Union européenne. Des négociations commerciales bilatérales ont d’ores et déjà été engagées. Elles visent à trouver un accord pour ouvrir le marché communautaire aux exportations de produits et de services ukrainiens, en échange d’un accès au marché ukrainien pour les produits et services européens.

L’Union européenne, du fait de la taille de son marché et du niveau de revenu de ses consommateurs, est extrêmement attractive pour les industriels laitiers implantés en Ukraine. Ces derniers pourraient facilement vendre leurs produits si les droits de douane à payer pour pénétrer dans l’UE, imposés par la préférence communautaire, étaient abaissés ou supprimés. D’autant plus que plusieurs de ces entreprises sont des filiales de groupes laitiers d’Europe de l’Ouest.

Se détacher de l’emprise russe

Mais actuellement, ce sont les problèmes de qualité sanitaire du lait tout au long de la chaîne qui empêchent l’Ukraine de prendre place sur le marché mondial et en particulier d’exporter vers l’Union européenne.

Les producteurs travaillent dans des conditions déplorables. Le pays ne compte aucun élevage laitier professionnel et indépendant de dimension familiale. La collectivisation de l’agriculture pendant des décennies a fait disparaître ce type d’éleveurs qui, dans l’Union européenne, contribuent fortement au dynamisme de la production laitière. » (2)

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°11

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