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Utiliser les surfaces pour l'énergie verte ou l'alimentation la concurrence s'installe

Le constat est clair et connu de tous, rappelle Guy Lemercier, chargé de la prospective chez Cogedis. « En 2050, l’évolution démographique nous amènera à 9,1 milliards d’individus, dont les 3/4 de citoyens urbains. La consommation d’énergie primaire va doubler d’ici 2050 et l’émission de CO2 sera multipliée par 2,3 si l’on ne fait rien. » Les besoins en énergie renouvelables sont importants, les usines de bioéthanol fleurissent aux Usa, le prix des céréales flambe et le coût de production de l’alimentation animale en subit les conséquences. Quelles évolutions, quels arbitrages et revenus pour les agriculteurs, dans ce contexte concurrentiel ? C’est autour de ces questions qu’a tourné le débat organisé à l’issue de l’Assemblée générale 2007 de Cogedis.

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Ces bouleversements au niveau des marchés mondiaux ont des conséquences sur les surfaces nécessaires et impactent sur le prix du foncier. Les biocarburants pourraient créer 42.000 emplois selon une simulation Inra. La même simulation estime qu’une incorporation à 4% de biocarburant aurait un effet bénéfique pour les agriculteurs, rapporte Guy Lemercier. Au-delà, de vraies questions se posent, notamment sur le foncier. Cette répartition des terres entre usages alimentaires et non alimentaires pose en effet la question des revenus pour l'exploitant.

Etre réactif

« En ce qui concerne les marchés agricoles, on est sur du vivant », souligne Hélène Morin, responsable du département énergie d'Agritel. L’offre peut être très variable d’une année à l’autre en fonction par exemple des conditions climatiques. La demande fluctue aussi, créant des tensions sur les marchés, avec l’augmentation de la population et la diversification des débouchés (biocarburants, produits biochimiques…). De même, la réglementation et les décisions des pouvoirs publics influencent les marchés à l’instar de la réglementation mycotoxines ou des réductions de prix d’intervention- voire leur suppression, comme pour le maïs dès l’année prochaine, rapporte la spécialiste des marchés d’Agritel. « Les marchés intègrent de plus en plus rapidement ce qui se passe à l’échelle mondiale. La communication passe très vite, on anticipe sur des productions ».

Politique agricole - Vers de nouvelles évolution

Le contexte de marchés provoque des tensions sur les surfaces. On peut envisager la suppression des jachères pour limiter la pression foncière estime Hélène Morin, responsable du département énergie d'Agritel. Le développement des Ogm s'il s'effectue peut être éventuellement envisagé par des gouvernements pour apporter des solutions en terme de production.
De même si l'Europe laisse monter les cours, c'est peut-être pour amener une réforme plus libérale, analyse Hélène Morin qui estime que dans ce marché les formes de soutien au prix pourraient évoluer en soutien à l'environnement et/ou couverture de prix. Les Usa ont déjà engagé cette évolution des soutiens note la spécialiste avec le développement d'assurance prix. Ainsi, pour 1$ investi, un agriculteur reçoit 2$/an.

Avec les accords de l'Omc, la fin des aides couplées est programmée, explique quand à lui Guy Lemercier, en charge de la prospective chez Cogedis. Elles devraient disparaître (boite orange) car elles influent sur les marchés ce qu'interdit l'Omc. La réflexion menée sur la Pac aujourd'hui est une volonté européenne. L'objectif de la Pac en 2013 va vers un découplage total. Ainsi en Allemagne, il est déjà programmé qu'en 2013, tous les agriculteurs percevront le même montant à l'hectare. La tendance est de redonner de la liberté aux agriculteurs, que les produits agricoles se rémunèrent par le marché. La légitimité des aides se pose.

On frise la folie sur les marchés aujourd’hui, souligne Hélène Morin : « Ainsi le cours du blé explose sur le marché à terme Euronext. On atteint actuellement 177€/T sur échéance de novembre, alors qu’en janvier on était sur des niveaux de prix de l’ordre de 110-120€/T ». Nous sommes dans un contexte très ferme de marché, analyse Hélène Morin. La récolte mer noire ne s’annonce pas bonne et la demande s’accroît à l’échelle mondiale. Les stocks de blé en cette fin de période sont au plus bas. « Il reste 113 millions de tonnes de blé, soit deux mois de stocks de blé pour vivre ». Il faut remonter aux années 80 pour retrouver un niveau de stock aussi bas.
A cette tendance haussière, s’ajoutent des phénomènes de volatilité de plus en plus marqués. « On enregistre parfois 7-8 € de fluctuation sur une journée », note Hélène Morin, « si un agriculteur veut vendre ou acheter au prix du marché, il doit être très réactif et s’informer de façon plus régulière. Une fois par semaine ne suffit plus ! »

Raisonner en moyenne ses achats

 Du côté de l’exploitant, c’est une situation déstabilisante et anxiogène, témoigne Charles Marchand, agriculteur à Saint Jean sur Vilaine (35). « Une décision prise en juillet ne verra son résultat qu’en août l’année suivante, et sans réellement pouvoir l’influencer. Certes, des outils existent, tels que les marchés à terme, mais c’est plus difficile à utiliser en zone de polyculture-élevage. Ainsi, en blé, sur Euronext, le minimum à engager est de 50 tonnes. Cela peut représenter une part importante de la production et cela ne s’accorde pas avec notre cycle de production »
Si c’est déstabilisant, par expérience, Charles relativise toutefois « C’est vrai que le phénomène est accentué en ce moment, mais il faut raisonner en moyenne ses achats pour ne pas subir les maximums de hausse ou de baisse. Nous avons déjà vécu cette situation il y a une dizaine d’années.»

Un concurrent supplémentaire pour l’alimentation animale

Pour Jacques Eouzan, Centralys, la concurrence des biocarburants sur la matière première destinée à l’alimentation animale pose le problème immédiat de l’évolution du prix des aliments, surtout en production hors sol. « En production hors sol – porc et aviculture – l’aliment est composé à 60-70% de céréales ou d’issus de céréales. Pour les ruminants cette part est de 30% environ ».
Les biocarburants constituent un concurrent supplémentaire pour l’alimentation animale. « Une augmentation de l’ordre de 40€/T du prix des céréales à une influence sur le coût de revient des produits. Ainsi, c’est 10€ de plus aux 1.000l de lait, +10cts €/kg de porc, +5cts par kg de poulet ou encore 60€ de plus dans le coût de production d’un jeune bovin ». Bien sûr, les fabricants tentent d’optimiser les formules pour estomper en partie ces augmentations de prix. Mais en partie seulement, et la question se pose de la répercussion possible sur le prix au consommateur.
La question de la concurrence se pose aussi en terme de disponibilité. Si les matières premières sont utilisées pour la fabrication de biocarburants, elles ne sont plus disponibles pour l’alimentation animale. Il faudra composer avec les coproduits qui en sont issus. « Les coproduits sont principalement azotés », note Jacques Eouzan.  Il faut pouvoir bien évaluer la valeur de ces produits (drèches notamment). On a besoin de plus de connaissance sur ces produits. On y enregistre de grosses variabilités, notamment sur les teneurs azotées ce qui influence le taux possible d’incorporation », explique le spécialiste de la nutrition.


Les intervenants ont développé leurs analyses lors de ce débat intitulé "Energie verte ou alimentation: Quels arbitrages? " (de gauche à droite: Guy Lemercier, Charles Marchand, Hélène Morin et Jacques Eouzan) (© Web-agri)
La problématique est différente selon la production, remarque Charles Marchand. « En bovins, on a moins d’inquiétudes car la part des produits complémentaires ne représente que 30¨% et on a plus de leviers pour atténuer ces variations. On peut compenser sur nos surfaces. En hors-sol, c’est plus problématique, la nature de la matière première ne donne pas la même efficience. Le résultat est très dépendant des matières premières proposées dans les formules. »
« Sur mon exploitation, j’ai mis en place des stratégies d’arbitrage »
, témoigne encore Charles Marchand, « j’utilisais les céréales comme combustible de chauffage quand elles étaient à 80 €/T, au prix actuel, mieux vaut les vendre et acheter du fuel. Je fabrique de l’huile aussi ».
« Il existe des possibilités au travers de transformation à la ferme d’être moins tributaire des fluctuations « schizophréniques » des marchés »,
conclut l’éleveur.
De même, Hélène Morin estime qu’en situation de marchés tendus, les choix seront alimentaires. « L’énergie sera plus une variable d’ajustement », analyse la spécialiste qui rappelle que pour les industriels des biocarburants, le coût de la matière première représente 60-70% du coût de production. Les grands groupes ou les plus compétitifs fermeront temporairement leurs usines si la matière première s’avère trop chère.

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