Les changements
« Les trois exploitations étaient initialement dans un « moule conventionnel » : des systèmes d’élevage assez classiques pour la région, hérités de nos parents, plutôt intensifs et qui marchaient bien. Nous nous sommes associés pour monter une unité de méthanisation agricole . Elle permet aux trois élevages de valoriser leurs effluents.
Le digestat issu du processus de fermentation, stable, est utilisé à la place d’engrais minéraux sur les cultures. Le gaz naturel produit est transformé en électricité, vendue au gestionnaire du réseau pour alimenter l’équivalent de 500 foyers (hors chauffage). Cette transformation produit de la chaleur, utilisée pour réguler le fonctionnement du méthaniseur et pour faire fonctionner un séchoir. Ce séchoir permet aux trois exploitations de sécher leurs fourrages et, du coup, d’en améliorer les conditions de stockage. Par ailleurs, nous alimentons également le méthaniseur avec des Cive (Cultures intermédiaires à vocation énergétique) : plutôt que d’implanter simplement un couvert piège à nitrates durant l’hiver, nous cherchons à produire le plus de biomasse possible durant cette période mal valorisée par les cultures… Et au passage, nous stockons du carbone (CO 2 de l’air), nous couvrons nos sols en hiver et nous pouvons en valoriser une partie en fourrages (méteils). Le fait de pouvoir sécher les fourrages a permis aux exploitations bovines associées de développer la culture de la luzerne et, par voie de conséquence, d’allonger les rotations et d’améliorer le fonctionnement agronomique du sol.
Les raisons
Chacun de nous a pensé aux opportunités que représentait la méthanisation, pour des motivations différentes. Pour ma part, j’étais déjà sensibilisé à la question des énergies renouvelables : nous avions investi dans une installation photovoltaïque sur la ferme et j’étais déjà impliqué dans un projet éolien citoyen sur la commune. Quand les autres sont venus nous parler d’un projet de méthanisation proche de chez nous, nous avons vite été séduits… Sébastien, à l’époque régisseur de cinéma, y a trouvé un projet de cohérence environnementale sur le territoire de sa commune d’origine. Cela l’a tellement enthousiasmé qu’il a choisi de quitter Paris pour changer de métier. En plus, ça correspondait à un moment où sa fille allait naître, ça a été une occasion de venir se mettre au vert… Chacun de nous avait ses motivations, mais aucun ne l’aurait fait seul ; il y avait trop de points délicats à mener pour un tel projet. C’est en pensant collectif que ce projet est devenu accessible
Les difficultés rencontrées et les solutions
Avec la méthanisation, nous avons rencontré plein d’expériences différentes, qui nous ont permis de prendre du recul sur nos propres systèmes et d’en voir des limites. Sur les trois fermes, nous modifions nos pratiques en ayant tous un horizon de nouvelles possibilités : la luzerne et l’alimentation des vaches, les Cive et les couverts végétaux, l’usage du digestat à la place d’une partie des engrais minéraux. Nous cherchons à gagner en autonomie protéique, mais cela nous amène à revoir la chaîne d’alimentation, la gestion du vrac, la gestion du séchage et même l’assolement et donc le raisonnement agronomique de nos terres… Tout ça n’est pas joué d’avance même si l’idée est séduisante !
Nous avons appris à travailler à six. Nous avons eu beaucoup de réunions ensemble, jusqu’à aboutir à des décisions collectives. L’expérience de la Cuma nous a vite amenés à poser des règles précises pour l’implication de chacun (par exemple, calendrier pour compter le temps), et à se dire les choses dès qu’elles apparaissent. Et puis nous prenons le temps pour changer. Nous faisons de petits pas, nous imaginons plusieurs scénarios pour chaque nouvelle idée.
La prise en main de l’unité de méthanisation a été difficile : c’est tellement de nouveaux paramètres à maîtriser ! Avec le temps, je me rends compte que les difficultés s’oublient vite ! Sébastien, qui n’était pas dans le milieu agricole, a dû quitter un métier pour en découvrir un autre, très différent, celui de gestionnaire d’une unité de méthanisation agricole. Son expérience dans le cinéma lui a appris à découvrir un métier « sur le tas » et à s’adapter en permanence à de nouveaux projets. Il a appris à ne pas être effrayé à l’idée d’essayer de nouvelles choses. Là c’est pareil, il apprend plein de nouvelles choses, ce qui se passe dans le méthaniseur, ce qui se fait dans les fermes, les liens avec le territoire… Pour cela, il était important pour lui de mettre la main à la pâte, de s’occuper de la logistique, des chargements… Son regard « nouveau » nous oblige à être exigeants sur le sens et la cohérence de tout le système. En plus, Benoît et lui sont habitués à dresser des rapports, des synthèses, à communiquer avec les partenaires… Ils apportent dans ce nouveau projet une compétence de développement.
Les sources d'information
Nous avons suivi assez peu de formations, nous avons surtout fait de la veille informative sur Internet, dans les revues, les salons… À six, ça peut faire beaucoup d’informations ! Nous avons visité beaucoup d’installations, questionné des collègues qui ont vécu des expériences similaires : sur leurs choix techniques, sur les compétences des différents prestataires, sur les difficultés qu’ils ont rencontrées, comment ils les avaient vécues… Nous avons aussi fait visiter notre installation : nous avons senti un regard bienveillant de nos voisins à partir du moment où ils comprennent la logique de notre projet. Cela nous permet de sentir que nous allons dans le bon sens.
L’apport du collectif
Notre culture du collectif nous a été utile. Plus jeunes, certains d’entre nous avaient organisé un festival de musique, nous étions habitués à organiser des choses ensemble. Les trois exploitations associées sont en Cuma et participent à des groupes de développement (Ceta, Geda, …). Le rôle du réseau AAMF (Association des agriculteurs méthaniseurs de France) a aussi été déterminant pour identifier des contacts d’agriculteurs, de constructeurs, de techniciens. Maintenant que nous sommes adhérents d’AAMF, je m’implique dans un groupe de travail sur la valorisation agronomique du digestat et de la production des Cive. »